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intérieure et extérieure, d’ordre et de sécurité, qu’une vague, mais réelle inquiétude commence à s’emparer des esprits. Aux questions qu’on voit tout à coup mettre à l’ordre du jour, aux difficultés que ces questions inattendues suscitent au gouvernement, au trouble profond qu’elles répandent dans une société paisible et laborieuse, on sent moins la main qui gouverne que la force occulte qui pousse et entraîne ; on reconnaît la pression d’un parti plutôt que la direction d’un gouvernement. On se demande ce que devient la constitution, ce que devient le gouvernement parlementaire dans ces manœuvres dont le public n’a point le secret, dans ces influences cachées, dans cette impulsion obscure, puissante, qui semble tout mettre en mouvement. Si l’on ne se croit pas revenu au régime du silence et de l’obéissance passive des vieilles monarchies, il est certain qu’on ne se retrouve point en pleine lumière du gouvernement de la parole et de la discussion publique. Le public, qui ne voit en tout que des questions de personnes, se dit : « Ah ! si M. Thiers vivait encore ! si l’on pouvait retrouver un Casimir Perier ! » Des publicistes sérieux posent ce grave problème : Une constitution est-elle faite pour le tempérament de la démocratie ? Un gouvernement parlementaire est-il possible avec le suffrage universel ? C’est parce que nous ne partageons pas ces doutes que nous avons entrepris ce travail.


I

Que devient la constitution ? C’est la question qu’on se fait, pour peu qu’on ait suivi la marche des affaires depuis qu’elle a été mise à exécution. Sans remonter jusqu’aux discussions parlementaires qui en ont expliqué le caractère et l’esprit, il suffit de rappeler que, dans la pensée des hommes sensés et pratiques de gauche et de droite qui l’ont votée, cette constitution, plus politique que logique, devait avoir pour effet de régler et de tempérer les mouvemens d’une démocratie qui n’a pas son égale en Europe pour la vivacité de ses allures et l’intempérance de ses instincts. C’est pour cela que les législateurs de l’assemblée nationale ont divisé la souveraineté en trois pouvoirs, qu’ils ont établi deux chambres d’attributions à peu près égales, qu’ils ont armé le chef du pouvoir exécutif du droit de dissoudre la chambre des députés avec le consentement du sénat, qu’ils ont donné à ce sénat, par un mode d’élection spécial, une origine plus conforme à son rôle de pouvoir conservateur et modérateur, au besoin même résistant, qu’enfin ils ont voulu assurer la sécurité et l’indépendance du parlement et du gouvernement tout entier, en le tenant à distance de l’éternel foyer