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un beau texte, bien imprimé, quelqu’un de ces chefs-d’œuvre de l’éloquence ou de la poésie nationale, quelque comédie de Molière, par exemple, dans la belle édition qu’en a donnée l’imprimerie nationale, ou quelque oraison funèbre de Bossuet dans une édition illustrée comme celle que nous signalons au lecteur. Quelques personnes pourront trouver étrange qu’on illustre un texte de Bossuet. Elles n’auront qu’à jeter les yeux sur l’œuvre de M. Lechevallier-Chevignard pour s’apercevoir qu’il n’y faut qu’un artiste à hauteur de la tâche. Ce sont là vraiment des illustrations, c’est-à-dire une fidèle interprétation, le commentaire en quelque sorte imagé de l’éloquente parole de Bossuet. Nous ne savons, au point de vue de l’exécution matérielle, et peut-être même du dessin, si l’on ne pourrait élever quelques objections légères ; ce que nous pouvons dire du moins sans marchander l’éloge, c’est que cette Bataille de Rocroy, cet Escalier de Chantilly, cette Nef de Notre-Dame, sont vraiment conçus et rendus dans le goût sévère du XVIIe siècle. Il serait difficile de mieux traduire par le dessin, avec un sentiment plus vrai, plus simplement et d’une manière plus frappante, ce contour arrêté, cette dignité un peu froide, cette gravité soutenue de la prose elle-même de la grande époque. Qui voudra s’en convaincre n’aura qu’à faire là comparaison avec ce qu’on nous donne aujourd’hui pour illustrations de Molière, et qui n’en sont la plupart du temps que la caricature.

L’illustration n’est pas d’ailleurs l’unique mérite de cette réimpression. La critique et l’érudition y peuvent encore trouver leur compte. M. Bocher nous donne en effet la réimpression textuelle de l’édition originale, mot pour mot, lettre pour lettre, l’orthographe elle-même et la ponctuation de Bossuet. A ceux qui ne verraient qu’une coûteuse manie dans l’ardeur avec laquelle on poursuit de nos jours, à prix d’or, dans les ventes publiques de livres, les éditions originales de nos grands classiques, je prends la liberté de donner le conseil de lire attentivement le texte de l’oraison funèbre, tel que le voilà, dans l’édition de M. Bocher et de le comparer au texte consacré, par exemple, dans nos écoles. Ils verront s’il a changé sur la route.

Nous n’exprimerons qu’un regret, en fermant ce beau livre, c’est que nous n’ayons pas Bossuet imprimé tout entier de la sorte. Ce n’est pas d’ailleurs que nous provoquions personne à nous le donner : l’entreprise de la révision du texte serait au-dessus des forces d’un seul homme, et l’exécution matérielle, assurément, au-dessus des moyens d’un seul éditeur.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.