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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre 1879.

Le premier point, en politique comme en toute chose, est de savoir ce qu’on veut, ce qu’on peut et ce qu’on doit. Faute d’une idée, précise et d’une direction réfléchie, on se laisse aller à l’aventure, à travers les expédiens, les contradictions et les confusions, on subit sans s’en apercevoir la tyrannie subalterne et invisible des circonstances, et on risque de se réveiller au milieu des incohérences d’une situation compromise. Les affaires intérieures de la France sont certainement depuis quelques mois, et surtout depuis quelques semaines, un des plus frappans exemples des dangers de l’incertitude. Il n’y a sans doute pour le moment rien d’irréparable ; la force des choses, le jeu régulier des institutions, la volonté des hommes prévoyans et des pouvoirs publics peuvent suffire à tout redresser, à remettre la politique de la France dans son équilibre, dans le vrai chemin. Il n’est pas moins évident que, si le mal peut être réparé, il existe, il éclate à tous les yeux, sous toutes les formes. On a souvent parlé de l’ordre moral, qui n’a jamais été qu’un beau mot, une fiction de l’esprit, et dont il est toujours difficile de faire une réalité. Ce qui est manifeste et bien autrement réel à l’heure présente, c’est le désordre moral, d’autant plus sensible qu’il se produit avec une sorte de jactance bruyante, au milieu, d’un pays matériellement paisible, désireux de repos, préoccupé des mille soucis pressans de sa vie laborieuse, importuné plutôt, qu’intéressé par toutes les agitations dont on l’assourdit. Oui, sans doute, il ne faut pas craindre de l’avouer, ce désordre, assez superficiel encore, mais toujours dangereux, s’est étrangement développé depuis quelque temps ; il envahit par degrés toutes les sphères, et si l’on veut mesurer le chemin qu’on a fait en moins d’une année, on n’a qu’à rapprocher par la pensée cette situation confuse, troublée, qui existe aujourd’hui, de la