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conçoit quels services importans peut rendre dans le diagnostic ou le pronostic des maladies l’étude de la pression sanguine. Ce sont ces appareils et ces mesures que M. Marey a présentés aux personnes qui assistaient à sa conférence, et il est inutile d’ajouter que ce maître éminent a obtenu un très grand succès. Sa péroraison a été très touchante : « Il y a un peu plus de vingt ans, dit-il, il y avait à Paris un jeune homme travaillant tout seul à des expériences physiologiques. Loin de recevoir des encouragemens, il n’avait recueilli que des paroles désespérantes ; on lui disait toujours que cela était fait ou bien que cela ne menait à rien. Bref il était sur le point de renoncer à des études si peu fructueuses. Or un physiologiste, illustre déjà, vint à passer à Paris ; le jeune étudiant demanda à ce savant la faveur de l’entretenir de ses expériences. Le savant fut généreux au delà des limites vulgaires ; pendant toute une journée, il causa avec l’étudiant, lui montra le bon et le mauvais côté de ses essais, lui ouvrit des horizons nouveaux, lui révéla, pour ainsi dire, la grandeur de la science dans laquelle il s’était essayé, de sorte que, le soir, après toute une journée d’entretien, quand le savant repartit pour Amsterdam, la vocation de l’étudiant était décidée, et il était résolu désormais à ne faire que de la physiologie. Aujourd’hui, dit M. Marey en se tournant vers le professeur Donders, l’étudiant vient remercier son maître et lui dire avec une pleine reconnaissance toute la gratitude qu’il lui a vouée. » On nous pardonnera sans doute de rapporter cet épisode qui honore également M. Donders et M. Marey.

Une autre conférence a été faite par M. Virchow sur les ruines de la vieille Troie à propos des récentes découvertes de Schliemann. Le sujet n’a rien de médical, mais M. Virchow qui, en anatomie pathologique et en médecine, a fait des travaux de premier ordre, est un homme presque universel. C’est aussi, comme on sait, un homme politique, orateur éloquent, très redouté du prince de Bismarck ; je crois même qu’il y a une quinzaine d’années, à la suite d’un discours un peu vif du grand chancelier, M. Virchow lui a envoyé des témoins et un cartel. A Amsterdam, M. Virchow a été plus pacifique. Dans une de ses conférences, il a insisté, et avec raison suivant nous, sur la nécessité pour les médecins de commencer leurs études médicales par de fortes études littéraires. « Tout le monde ne peut pas, a-t-il dit, faire comme moi et se remettre, à soixante ans, à l’étude du grec de manière à lire Hippocrate dans le texte. Cependant il est clair qu’en étudiant les chefs-d’œuvre produits par les grands hommes de l’antiquité, le jeune homme qui doit devenir un savant s’imprègne de cet esprit profond et sage. Non, rien ne peut suppléer à l’éducation virile que donne la fréquentation des grands penseurs d’autrefois. » Il n’est pas sans intérêt de rapporter cette opinion de M. Virchow dans ce moment d’utilitarisme. On croit naïvement que le temps passé à étudier le grec ou le latin est du