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classes moyennes, et les adversaires de Butler s’empressaient de reproduire dans leurs journaux les divagations de Kearney et de les répandre par tous les moyens possibles. Butler s’efforçait de ramener son imprudent collaborateur à une appréciation plus saine du terrain sur lequel il manœuvrait, mais Kearney n’entendait rien et ne voulait rien entendre à toutes ces subtilités. Grisé par les applaudissemens, habitué aux excès de langage et aux dénonciations brutales qui avaient le don de ravir et d’entraîner les roughs de San Francisco, il reprochait à Butler de manquer d’audace, d’être plus politique que novateur, et, stimulé par son entourage, il continuait à jouer le jeu de ses ennemis, dépassant toute mesure, alarmant tous les intérêts et prêchant l’universel chaos, dernier mot de ses allocutions insensées.

Dans l’état du Maine, limitrophe du Massachussets, la lutte n’était pas moins vive. Le parti démocrate, uni aux greenbackers, y disputait la victoire aux républicains jusqu’ici maîtres incontestés des suffrages’. On attendait avec anxiété le résultat de ces élections qui avaient lieu au commencement de septembre, six semaines avant celles de la plupart des autres états, et qui constatèrent les progrès considérables des greenbackers. Ils réussirent à faire nommer cinquante-sept de leurs candidats à l’assemblée législative et vingt-neuf démocrates. Les républicains n’obtenaient que soixante-cinq sièges contre quatre-vingt-six conquis par leurs adversaires coalisés. Le Maine faisait défection, et cet exemple donné par l’un des états agricoles les plus riches de l’Union menaçait d’entraîner l’ouest, d’encourager le sud et de mettre les républicains en minorité.

Le terrain de la lutte se rétrécissait de plus en plus, et la question financière devenait, ainsi que l’indiquaient les élections du Maine, le vrai champ de bataille des deux partis. D’une part les républicains, appuyés sur les banques nationales disposant de deux milliards et demi de capital primitif, de quatre milliards de dépôts, et de l’autre les démocrates alliés aux greenbackers, héritiers des traditions de Jackson, réclamant l’abolition des privilèges conférés par la loi aux grandes institutions financières, et la substitution du papier de l’état à celui des banques. Telle était, en résumé, la thèse soutenue par ces derniers, désireux d’écarter de leur programme les théories subversives des socialistes comme Kearney et autres. Partout ils répudiaient ces alliés compromettans, et Butler lui-même sentait les dangers qu’ils lui faisaient courir. Mais il était trop tard, et la partie était trop engagée pour risquer à la dernière heure une rupture qui lui enlèverait des votes sans lui en assurer la compensation.

Le 5 novembre, les élections eurent lieu dans trente états et le résultat dépassa les espérances du parti démocrate, bien que sur