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républicains. La presse de New-York enregistrait les moindres incidens ; les reporters des grands journaux affluaient à Boston et tenaient leurs lecteurs au courant de leurs fréquentes entrevues avec Butler. On sait qu’aux États-Unis un homme politique ne peut se soustraire à ce genre d’inquisition et que mal lui prendrait d’éconduire ces visiteurs importuns, mais toujours ménagés. Le compte rendu d’un entretien entre le reporter du Herald et le général donnera une idée de ce genre d’enquête, qui rappelle par la forme l’interrogatoire d’un prévenu par le juge d’instruction :

« Je trouvai Butler, lundi soir, dans le salon no 1 de l’hôtel de la cinquième avenue. Le général venait d’arriver à l’instant après un voyage de trente-six heures en chemin de fer. Il était évidemment très fatigué, mais me parut content du résultat de sa tournée et de l’accueil fait aux nombreux discours qu’il avait prononcés. Je lui demandai ce qu’il pensait de ses chances.

— Je sais que j’ai de grands obstacles à surmonter, et si je ne comptais que sur moi-même, je serais fort indécis, mais le peuple veut un changement ; il a la conviction que, si cela dépend de moi, il l’aura. C’est pour lui que je lutte.

— Sur quelle classe de la population vous appuyez-vous ?

— Sur ceux qui pensent et réfléchissent, sur ceux qui ont à cœur l’intérêt public en dehors de toutes considérations sociales, sur ceux qui plient sous le fardeau des taxes et qui blâment les dépenses extravagantes de l’administration républicaine.

— Quels sont vos adversaires ?

— Les capitalistes, ceux qui prêtent de l’argent sur hypothèque, ou qui sont intéressés dans les banques.

— Êtes-vous satisfait du résultat de la convention de Worcester ?

— J’aurais grand tort de ne pas l’être. Les trois quarts des délégués, 973 sur 1,250, ont voté pour moi.

— Êtes-vous personnellement pour quelque chose dans le coup de main de Worcester ?

— Absolument pour rien. Le comité central avait décidé d’exclure de la convention tous ceux des délégués qui m’étaient favorables. Ceux-ci ont pris possession de la salle ; ils étaient dans leur droit, étant les plus nombreux. Les dissidens se sont ajournés à Boston.

— Que feront-ils ?

— Ils désigneront un autre candidat, puis ils l’abandonneront au moment de l’élection et voteront avec les républicains s’ils ne voient pas d’autre moyen d’empêcher ma nomination. Le juge Abbott, leur chef, le dit à qui veut l’entendre.

— Vous croyez possible une fusion entre les démocrates dissidens et les républicains ?