Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un gouverneur est payé 5,000 dollars, ce n’est pas un poste à envier comme émolumens. — Nous vous ferons président de la république ! — Si cela vous convient, soit. Les journaux publient partout que je gagne 100,000 dollars par an ; pour une fois, ils ne mentent pas. En ce qui me concerne, je suis prêt à renoncer à ma profession s’il vous plaît de me nommer gouverneur. Comptez sur moi comme je compte sur vous. »

Ce n’étaient là que les préliminaires, en quelque sorte classiques, de la campagne entreprise par Butler. Son discours, reproduit par les journaux, accompagné de commentaires élogieux ou injurieux, devait être suivi de beaucoup d’autres, mais les paroles ne suffisaient pas ; il fallait agir, et Butler avait affaire à forte partie. Il le savait, mais ce n’était pas l’audace qui lui faisait défaut.

Toute élection aux États-Unis traverse trois phases distinctes. Le candidat commence par faire sa profession de foi dans un meeting public, où ses partisans se réunissent en nombre suffisant pour tenir ses adversaires en échec. Il se met alors en route, et pendant des semaines, voyageant de ville en ville, de village en village, il parle chaque jour et plusieurs fois par jour, loue des salles, paie des agens, subventionne la presse, multiplie sur les murs les affiches et les placards. Pour faire face à ces frais, le candidat ne peut compter que sur lui-même et sur le concours plus ou moins désintéressé de ses amis. Cette première campagne a pour but de s’assurer la nomination de délégués favorables. Ces délégués sont choisis par les adhérens au parti dont il sollicite les suffrages et se réunissent en convention dans une ville désignée à l’avance. Le nombre de ces délégués est proportionnel au chiffre des électeurs. Le vote de la convention détermine celui des candidats qui réunit la pluralité des suffrages. Il faut donc s’assurer ces délégués, obtenir dans la convention la majorité des voix et, alors seulement, représentant attitré du parti, disputer au candidat adverse les suffrages populaires.

Dans cette troisième phase, la lutte, plus circonscrite, est aussi plus ardente, mais l’élu de la convention a pour lui l’appui de son parti et les ressources financières et autres dont ce parti dispose. L’argent joue un rôle important, et le candidat du parti alors au pouvoir a sur son concurrent un grand avantage. On sait qu’aux États-Unis les fonctionnaires changent avec l’administration. A tous les degrés de l’échelle, ils sont donc intéressés à la soutenir. L’usage s’est introduit de prélever sur leurs appointemens un tant pour cent versé à la caisse du parti et destinée faire face aux frais considérables qu’entraînent les élections. Le candidat de l’opposition n’a pas cette ressource, il lui faut faire appel au zèle de ses partisans. Tous ceux qui attendent de son