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ressources. Les terres grevées d’hypothèques ne suffisaient pas à couvrir l’intérêt et à amortir le capital ; une baisse considérable s’ensuivit. Elle coïncidait avec le retrait progressif des greenbacks et une rareté de numéraire. Les banques qui s’étaient constituées en avances, effrayées de voir diminuer leur gage, exigèrent le remboursement de leurs capitaux et accélérèrent ainsi une crise inévitable. De là un double courant d’animosité contre les banques et d’hostilité aux mesures financières du gouvernement. On réclama le maintien des greenbacks. Cette monnaie factice avait créé une prospérité factice comme elle ; elle ne coûtait rien à fabriquer, elle circulait facilement ; on ne comprenait pas pourquoi on se privait de ressources illimitées pour leur substituer une gêne croissante.

L’erreur du parti républicain fut de ne pas comprendre dès le début l’importance de ce mouvement et de ne pas adopter une ligne politique bien nette. Il ne vit là qu’un dissentiment passager et crut en avoir raison en gagnant du temps. Quelques-uns des hommes influens du parti, entraînés par les opinions locales, se déclarèrent même en faveur du maintien des greenbacks et de la suppression des banques nationales. Cependant le gouvernement maintenait énergiquement sa résolution et fixait au 1er janvier 1879 la date de la reprise des paiemens en espèces. Le parti démocrate tira habilement parti de ces divisions. Sans adopter d’une manière absolue le mot d’ordre des greenbackers et le Fiat money des socialistes, il se constitua l’adversaire des plans financiers du pouvoir exécutif dont il était déjà l’ennemi politique ; il s’attaqua violemment aux banques nationales et, profitant du schisme du parti républicain, il détacha ceux de ses adhérens que leurs intérêts ou leurs animosités amenaient à faire cause commune avec lui.

L’Ohio et la Pensylvanie suivaient le mouvement de l’Indiana et de l’Illinois et se rapprochaient des démocrates ; le sud leur était acquis, l’ouest venait à eux, l’état de New-York, quartier-général du parti, n’était pas douteux. Seuls, le nord et la Nouvelle-Angleterre opposaient une vive résistance ; il semblait impossible de les entamer, et l’on y manquait de candidats démocrates ayant une notoriété suffisante pour engager la lutte avec les républicains. Sur ces entrefaites une éclatante défection vint rallier à Boston même les débris du parti démocrate autour d’un ancien républicain, jusque là l’objet de sa haine ardente. Le général Butler, « l’homme de la Nouvelle-Orléans, » comme on le désignait en souvenir de la brutalité militaire avec laquelle il avait traité cette malheureuse ville pendant la guerre de sécession, se détachait bruyamment du parti républicain et posait sa candidature au poste de gouverneur de l’état de Massachussets en réclamant l’appui des démocrates, des greenbackers et des socialistes.