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sur les élections de 1878 pour fortifier leur majorité dans la chambre, l’obtenir dans le sénat et entamer la campagne présidentielle de 1880 dans des conditions favorables. En attendant, ils observaient les événemens, ils encourageaient les attaques dirigées contre les banques nationales, que les haines populaires désignaient comme la cause première de la misère croissante, et ils suivaient avec attention le réveil de l’opinion dans les états du sud, qu’ils aidaient à s’affranchir du joug militaire qui pesait sur eux et qu’éprouvait alors une terrible épidémie.

La fièvre jaune dévastait le Missouri, le Tennessee, la Louisiane, et gagnait du terrain dans les états limitrophes. Le mécontentement s’accentuait parmi ces populations si malheureuses depuis la guerre de sécession, et le danger commun y rapprochait les deux races ennemies. Dans le sud, le parti républicain était sans force et sans consistance. Il n’avait réussi à s’implanter et à s’organiser qu’à la condition d’être soutenu par les troupes fédérales. Cet état de choses ne pouvait se prolonger. La chambre des représentans réduisait d’une part le budget de la guerre, et de l’autre sommait le pouvoir exécutif d’évacuer les états occupés militairement. L’armée, disait-on, ne devait pas être entre les mains du gouvernement un instrument politique. Il était temps de renoncer à ce système d’état de siège déguisé, contraire aux lois et à la constitution. Le parti républicain se vantait d’avoir réorganisé le sud, soit ; on allait pouvoir juger des résultats, et s’il était vrai, comme il l’affirmait, que les états du sud se ralliaient à sa politique, il convenait d’en finir avec un régime arbitraire sans précédens et sans utilité. Au fond, personne n’ignorait la vérité, et le parti républicain savait parfaitement à quoi s’en tenir sur les sentimens hostiles du sud à son égard. Il supposait toutefois que le retrait des troupes serait le signal d’une lutte entre les nègres et leurs anciens maîtres, et que les violences commises de part et d’autre, justifiant dans le passé les mesures prises, autoriseraient à brève échéance une occupation nouvelle. Il ne tenait pas compte de l’apaisement relatif que le temps avait produit, du rapprochement amené par l’épidémie et surtout de l’influence que la race blanche exerçait sur une race inférieure longtemps asservie, mais qui, bien qu’affranchie du joug, n’en conservait pas moins un fond de respect pour ceux qui avaient été ses maîtres. La partie la plus intelligente de la population nègre se rendait compte que nul ne songeait à la ramener à sa condition antérieure et que l’esclavage avait fait son temps. Pour vivre, les noirs s’étaient remis au service de leurs anciens propriétaires comme travailleurs libres ; à ce contact quotidien, bien des haines s’étaient calmées. Les années avaient passé ; la race blanche, à demi ruinée par la guerre, essayait péniblement de se relever et