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n’osant pas le vouloir. Le programme qu’il prétend imposer au gouvernement se résume en deux mots qui s’étalent dans ses journaux, retentissent dans les meetings et donnent la mesure exacte de sa science économique : Fiat money : Que l’argent soit !

Les greenbackers ont emprunté ce mot d’ordre sans toutefois en tirer les conséquences absurdes et absolues des socialistes. Ils estiment que le retrait des greenbacks et le retour aux paiemens en espèces est une mesure intempestive et trop précipitée, que le pays s’est habitué à ce mode de paiement, que le numéraire est rare, et que c’est paralyser l’industrie au moment même où elle prend un grand essor que la condamner à une circulation restreinte. Quant aux socialistes, ils proclament l’état souverain, libre de créer l’argent et de le multiplier indéfiniment. Vainement on leur objecte que le greenback n’est pas de l’argent, mais une promesse de payer en argent, pas plus qu’un acte de vente de propriété n’est la terre elle-même, mais un engagement de livrer une étendue déterminée du sol ; qu’à ce compte on pourrait décupler, centupler la richesse d’un état, centupler aussi sa superficie, sans ajouter un centime ou une parcelle de terre labourable à ce qu’il possède réellement. A toutes ces objections ils ne répondent que : Fiat money, et mettent le gouvernement en demeure d’agir, non de discuter.


II

C’est dans ces conditions que s’ouvrit en 1878 la période électorale. Trente états étaient appelés à procéder à des élections générales et à fortifier dans le congrès la majorité républicaine ou à se prononcer en faveur du parti démocrate. Aucun des autres partis dissidens n’était en mesure de disputer le pouvoir aux républicains. Ils ne figuraient dans la lutte qu’à titre d’appoint que se disputaient les deux camps, fortement organisés, disposant seuls d’un personnel gouvernemental et dirigés par des hommes d’état éminens. Les républicains avaient pour eux la possession incontestée du pouvoir depuis dix-huit ans, le prestige de leurs succès passés, un programme bien défini et, comme l’on dit aux États-Unis, une plate-forme connue et acceptée. Ils avaient contre eux l’exercice du pouvoir qui use les hommes en donnant leur mesure exacte et en dissipant les illusions, le souvenir d’une politique implacable à l’égard du sud, les mécontentemens sourds des ambitions déçues, des espérances ajournées et surtout le malaise général dont ils n’étaient pas cause, mais dont ils portaient la responsabilité. On leur reprochait en outre de nombreux abus de pouvoir, un budget militaire excessif, les troupes mises à la disposition des gouverneurs républicains nommés dans les états du sud et qui ne pouvaient y