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les capitalistes de New-York faisaient des avances dont ils se remboursaient sur les sucres et les cotons que leurs débiteurs consignaient entre leurs mains. Ces avances avaient pour gage la plantation elle-même, le sol, le matériel d’exploitation et la valeur des nombreux esclaves qu’elle occupait. Cette dernière valeur supprimée par l’émancipation était de beaucoup la plus importante et, dans nombre de cas, la plantation incendiée, le sol dévasté ne couvrait pas le montant des dettes. Le planteur était ruiné, et souvent aussi son créancier avec lui. Certes l’esclavage était odieux, condamné par la conscience, mais il n’en était pas moins reconnu par la constitution, protégé par elle. Le Fugitive Slave Law n’ordonnait-il pas aux autorités des états libres de rechercher, d’arrêter et de remettre à leurs maîtres les nègres fugitifs ? L’esclave était, de par la loi, une propriété comme une autre, et, à ce titre, ne pouvait être émancipé sans compensation. Il représentait une partie du gage des créanciers du nord, l’équité exigeait qu’il en fût tenu compte.

Si du sud nous passons au nord, là aussi la question politique se compliquait d’une question financière née des exigences de la guerre de sécession et appelée à jouer un rôle considérable dans l’évolution qui se préparait.

Lors de l’avènement du parti républicain aux affaires en 1860, le montant de la dette fédérale et des dettes particulières des divers États s’élevait au chiffre total de 1,475 millions de francs. En 1861, la guerre éclate, mais on se faisait alors les mêmes illusions aux États-Unis qu’en France en 1870. Il fallut, là aussi, une terrible expérience et de sanglans désastres pour les dissiper. On voyait alors à New-York un spectacle analogue à celui qui attristait nos yeux à Paris en août 1870. On y criait : « On to Richmond ! En marche sur Richmond ! » comme sur nos boulevards : « A Berlin ! » Les masses sont partout les mêmes, et si nous n’avons pas, comme nous nous en flattions dans notre orgueil, le privilège de tous les succès, nous n’avons pas non plus, ainsi que nous le croyons dans nos accès d’humilité, le monopole de toutes les erreurs. On estimait dans les états du nord que la guerre serait de courte durée ; le président Lincoln demandait, pour en finir promptement, quelques millions de francs et quelques milliers d’hommes ; il fallut des milliards et plus d’un million de soldats.

Dès 1862 les yeux étaient dessillés. En 1863 on avait dépensé plus de 10 milliards. Le sud chancelait sous des coups répétés ; ses meilleurs généraux, ses plus vaillans soldats tombaient, ses ressources s’épuisaient ; l’argent, les armes, les bras commençaient à lui manquer, mais il fallait pour l’abattre un dernier et puissant effort. Le président et le congrès le demandèrent à un crédit