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assez évidentes pour déterminer la retraite motivée d’un des membres du cabinet. La révision du traité de Paris, que l’Angleterre dut subir et qui mit à néant les résultats obtenus au prix de tant de sacrifices, rendit sensibles pour les moins perspicaces les résultats d’une politique sans vigueur et sans prévoyance. La décision du tribunal arbitral de Genève blessa profondément l’amour-propre national : on se souvint alors que la chute du cabinet Disraeli avait permis au gouvernement américain de revenir sur un arrangement beaucoup plus favorable à l’Angleterre. La sentence par laquelle l’empereur d’Allemagne attribua l’île de San-Juan aux États-Unis ne fut pas une mortification moins sensible. Il semblait que les gouvernemens étrangers eussent perdu toute considération pour l’Angleterre et qu’elle cessât de compter dans les conseils de l’Europe.

La popularité du cabinet Gladstone se changeait donc peu à peu en défaveur. Les libéraux modérés se détachaient du ministère et se rapprochaient des tories, dont ils n’étaient plus séparés par aucune question de principe. Les élections partielles tournaient presque invariablement à l’avantage des candidats conservateurs. M. Disraeli s’occupait sans relâche de fortifier l’organisation de son parti en province, en vue des futures élections générales : des comités conservateurs permanens furent créés ou reconstitués dans toutes les circonscriptions : partout aussi les membres influens du parti tory se mirent en rapport avec les ouvriers et suscitèrent par leurs conseils, leur patronage et leur assistance l’établissement de cercles d’ouvriers conservateurs. L’entente était facile, car aucun antagonisme d’intérêt n’existait entre les classes laborieuses et les représentans de la propriété foncière. Chaque expérience nouvelle de la législation électorale de 1868 permettait d’en mieux apprécier les résultats ; les ouvriers les plus intelligens et les plus instruits savaient gré au parti conservateur de leur émancipation politique et aussi des mesures d’amélioration sociale qui avaient marqué chacun de ses retours au pouvoir. Un revirement, chaque jour plus sensible, s’opérait dans l’opinion publique : des banquets furent offerts à M. Disraeli à Manchester et à Glasgow, et, dans ces grandes villes industrielles, ce furent les classes laborieuses qui lui firent l’accueil le plus chaleureux. La division s’introduisait au sein de la majorité ministérielle, et le 12 mars 1873 un bill qui avait pour objet de créer une université catholique en Irlande en démembrant l’université protestante de Dublin et en lui enlevant une partie de ses revenus fut rejeté à la majorité de trois voix. M. Gladstone donna immédiatement sa démission ; mais M. Disraeli refusa de former un ministère parce qu’il lui eût été impossible de gouverner avec la chambre existante. M. Gladstone reprit donc la direction des