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craintes. M. Lowe, qui avait fait partie du dernier cabinet de lord Palmerston, combattit le bill de M. Gladstone avec acharnement ; il fut secondé par lord Grosvenor et lord Dunkellin. Un amendement, présenté par ce dernier, et qui attaquait le principe même de la mesure en substituant comme base de l’électorat la quotité des taxes payées à la valeur locative, fut adopté à la majorité de onze voix. Comme le gouvernement avait déjà subi plusieurs échecs dans le cours de la discussion, cette dernière défaite détermina lord Russell à donner sa démission, et lord Derby revint pour la troisième fois au pouvoir.

Lord Derby, qui savait n’avoir point de majorité dans la chambre des communes, essaya de rattacher au parti conservateur les whigs dont la défection avait déterminé la chute du cabinet Russell : il leur fit offrir des portefeuilles. Ces offres furent déclinées par lord Grosvenor et par lord Dunkellin : ceux-ci craignaient de donner prise au reproche d’avoir obéi à des motifs d’ambition personnelle ; mais, en refusant les propositions qui leur étaient faites, ils promirent au futur cabinet un appui désintéressé. Lord Derby fut donc réduit à composer un ministère avec des élémens exclusivement conservateurs. M. Disraeli reprit son poste de chancelier de l’échiquier, et il eut pour principaux collègues sir John Packington, lord Stanley, le général Peel, lord Dranborne, aujourd’hui marquis de Salisbury, M. Gathorne Hardy, sir Stafford Northcote, et sir Hugh Cairns, tous hommes qui avaient acquis l’expérience des affaires et qui avaient fait leurs preuves de talent. Le nouveau cabinet était incontestablement supérieur à celui qu’il remplaçait ; malheureusement il ne devait pas demeurer longtemps uni.

La réforme électorale fut, encore une fois, la pomme de discorde qui divisa le parti tory, au sein duquel il ne s’élevait plus aucune dissidence sur les questions de politique commerciale, de finance ou d’impôts. Une solution était indispensable et urgente. Quatre bills de réforme avaient dû être retirés ou avaient été rejetés : ces avortemens successifs avaient fourni des armes redoutables aux radicaux, qui accusaient le parlement de vouloir systématiquement exclure les classes ouvrières de la vie politique, et qui représentaient le parti conservateur comme hostile à toute réforme. Aussitôt après le rejet du bill de M. Gladstone, M. Bright et la ligue pour la réforme nationale avaient commencé une agitation qui ne pouvait manquer de se développer rapidement : des processions tumultueuses avaient été organisées dans Londres ; des rassemblemens s’étaient formés devant Westminster, et quelques scènes de désordre avaient eu lieu à Hyde-Park. M. Gladstone, irrité de sa défaite, prenait part à cette agitation et prétendait rendre le parti conservateur responsable d’un échec qui était surtout l’œuvre de ses amis.