Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lequel, pour la première fois, une place fut faite au parti radical : sur le refus de M. Cobden, le ministère du commerce fut donné à M. Milner Gibson.

Quelques jours après la formation du nouveau cabinet, la compagnie des marchands tailleurs de la Cité offrait un banquet aux principaux députés conservateurs, et M. Disraeli en prit occasion pour exposer publiquement le programme de son parti. Loin de témoigner le moindre abattement d’une défaite dans laquelle il ne voyait que le résultat inévitable du mécanisme ingénieux imaginé en 1832 pour perpétuer la domination de quelques grandes familles, il exprima la conviction que les ministres démissionnaires avaient emporté en se retirant l’estime et la confiance du pays ; il n’en voulait d’autre preuve que l’accroissement de forces que les élections générales avaient valu au parti conservateur. Ce grand parti était plus que jamais convaincu « que le meilleur moyen d’assurer à l’Angleterre la liberté et un bon gouvernement était de protéger contre toute atteinte les institutions existantes, de faire respecter les prérogatives de la couronne, de défendre les privilèges héréditaires ou électifs du parlement, de maintenir l’alliance de l’église et de l’état, et de conserver au pays son vaste système d’administration locale par le moyen de conseils municipaux et de magistrats indépendans. » Ce grand parti constitutionnel était loin d’être hostile au progrès ; mais la prudence était pour lui un devoir. « Nous ne pouvons perdre de vue, disait l’orateur, que, quand il s’agit de toucher aux institutions d’une antique nation européenne, nous n’avons pas la même liberté d’action que les gens qui improvisent une société dans le désert. Nous devons tenir compte des droits acquis, des influences établies, de toute cette complexité d’opinions, de sentimens et de préjugés qui existent chez nous, et ne peuvent exister que dans une société dont les institutions ont été consacrées par la tradition. C’est ce respect des traditions qui fait que cette antique et libre nation répugne aux changemens empiriques et dont la nécessité ne lui est pas démontrée, et que nos hommes d’état hésitent à rien modifier, même pour améliorer. » Parlant ensuite de lui-même, M. Disraeli ajoutait : « Je puis dire avec vérité que, dès le premier jour où je me suis occupé des affaires publiques, je me suis toujours assigné pour tâche de rétablir l’influence et la réputation du grand parti auquel nous sommes fiers d’appartenir, et que je considère comme intimement uni à la prospérité et à la grandeur du pays. Depuis que j’ai pris place dans ses rangs, il a connu des jours d’épreuve et d’adversité sans que j’aie jamais cessé d’avoir foi dans son avenir, étant convaincu que ses principes répondent aux sentimens du grand corps de la nation. En essayant, malgré ma faiblesse, de diriger ses