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motion de ce qu’elle avait de blessant pour le cabinet : le succès de cet amendement était impossible ; si toutes les fractions de l’opposition demeuraient unies ; mais lord Palmerston, qui ne se souciait point de voir le ministère renversé au profit exclusif de son rival, proposa de modifier la motion primitive de façon à la rendre acceptable pour le ministère. M. Disraeli fut autorisé par ses collègues à adhérer à cette rédaction, qui fut adoptée à une forte majorité. Après ce vote, le parti conservateur ne pouvait plus avoir sur cette question d’autre politique que celle qui avait été indiquée par M. Disraeli, et dès ce jour celui-ci fut en droit de répondre par un démenti catégorique à l’accusation, souvent lancée contre ses amis, de vouloir taxer la nourriture du peuple.

Le ministère avait été sauvé, pour cette fois, par l’intervention de lord Palmerston : il restait à voir quel accueil serait fait aux mesures annoncées en faveur de l’agriculture. Ces mesures faisaient partie du budget que M. Disraeli présenta le 3 décembre 1852. Pendant plus de cinq heures, l’orateur tint la chambre sous le charme d’une exposition lumineuse, dans laquelle il passa en revue toutes les branches de la production nationale, en indiquant les charges spéciales qui pesaient sur chacune d’elles et les allégemens ; qu’on pouvait leur accorder sans porter atteinte ni au principe de la concurrence commerciale ni à l’intégrité du revenu public. La plupart des vues exposées alors par M. Disraeli ont été appliquées plus tard soit par lui-même, soit par M. Gladstone, à qui l’on en a fait honneur. Le ministre exemptait la navigation de la plus grande partie des taxes levées pour les phares dont l’entretien devait être mis à la charge du budget général. Il accordait aux planteurs des colonies la faculté de faire raffiner leurs produits en entrepôt. Les agriculteurs obtenaient la réduction à moitié de l’impôt sur la drêche, et d’autres avantages leur étaient faits par une révision et une diminution de l’income tax. Les droits sur le thé, considéré comme un article de consommation générale et de première nécessité, devaient être diminués de moitié par une série d’abaissemens successifs. Divers autres droits étaient ou supprimés ou remaniés et réduits. Pour compenser ce que le trésor devait perdre par l’effet de ces réductions, l’income tax était étendu à l’Irlande, et l’impôt direct sur les propriétés bâties était généralisé et augmenté. Ces deux propositions déterminèrent la chute du ministère en tournant contre lui les députés irlandais et la plupart des députés des villes. Une coalition, se forma au sein de la chambre : lord Palmerston, qui croyait avoir, intérêt à prolonger encore l’existence du cabinet, fit donner à M. Disraeli le conseil de retirer ou de modifier notablement son budget et de ne pas jouer l’existence du gouvernement sur des questions de finance. Malgré les exemples