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genre, de la valeur de la science mathématique considérée en elle-même, mais de l’utilité de l’étude des mathématiques comme culture principale ou primordiale de l’esprit. — On ne discute que sur cette question : Faut-il placer la base de l’éducation dans les sciences ou dans les lettres, s’il s’agit de préparer l’enfant non pas à telle ou telle profession spéciale, mais au métier d’homme ? — Or, si le but d’une éducation vraiment libérale est le développement général et harmonieux des diverses facultés, dans leur subordination relative, dès lors il paraît chimérique d’attendre ce résultat de l’exclusive application d’une étude déjà exclusive par elle-même. Les effets d’une éducation ainsi entendue, dirigée d’un seul côté, ne consistent pas seulement dans le développement disproportionné d’une faculté aux dépens des autres, mais aussi dans l’éducation de cette même faculté restreinte à une sphère d’action spéciale et bornée à une classe particulière d’objets.

Or, si nous consultons la raison, l’expérience, le témoignage le plus-autorisé des hommes qui ont écrit sur l’éducation, il est reconnu qu’aucune étude ne tend à cultiver un moindre nombre de facultés et d’une manière plus incomplète que les mathématiques. Le raisonnement seul y est exercé. Encore n’est-ce que le raisonnement appliqué uniquement dans un certain sens, ne poursuivant que des notions et les rapports de ces notions entre elles, non les choses elles-mêmes et les relations réelles, en un mot le raisonnement ayant pour unique objet la forme ou la quantité, par conséquent ne développant l’esprit humain que sous une seule face. Dans cette étude, quand elle domine à l’excès, l’esprit de l’enfant (car il ne s’agit ici que d’éducation) s’élève rarement à la pleine conscience de son activité propre ; il y est plus passif qu’actif, et plutôt porté que mû par lui-même. On a dit très heureusement : Mathematicœ munus pistrinarium est ; ad molam enim alligati, verlimur in gyrum œque algue vertimus. C’est qu’en effet la routine de démonstration dans la gymnastique de l’esprit peut être comparée à la routine d’une roue de moulin dans la gymnastique du corps ; chacune détermine une seule faculté à une action bornée et continue[1].

Le succès ultérieur des realschulen en Allemagne n’est pas le moins du monde la justification des idées de Diderot. C’est la partie pratique des sciences exactes que l’on y enseigne avec un mélange des sciences physiques, naturelles et historiques qui tempère l’abstraction. Elles correspondent à ce que l’on voudrait établir partout en France et qui fonctionne déjà admirablement à Paris, les écoles Turgot, Chaptal, etc. Mais cette sorte d’enseignement, très

  1. Fragmens de Hamilton, traduits par M. L. Peisse, sixième fragment.