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enfans d’une nation « et de les initier tous indistinctement à la connaissance élémentaire de toutes les sciences[1] ? » Diderot insiste : « Je dis indistinctement, parce qu’il serait aussi cruel qu’absurde de condamner à l’ignorance les conditions subalternes de la société. Dans toutes, il est des connaissances dont on ne saurait être privé sans conséquence. D’ailleurs le nombre des chaumières étant à celui des palais dans le rapport de dix mille à un, il y a dix mille à parier contre un que le génie, les talens et la vertu sortiront plutôt d’une chaumière que d’un palais. » C’est ce qu’on peut appeler, s’il en fut, un argument déclamatoire. Il ne s’agit pas de priver d’instruction les enfans des chaumières, mais de savoir s’il convient, même dans leur intérêt, de leur imposer, pendant les trois ou quatre années qu’ils peuvent donner aux études, les mêmes exercices qu’à ceux dont l’enfance tout entière et la première jeunesse appartiennent à l’enseignement. Diderot ne place aucun intermédiaire entre les petites écoles et l’université qu’il veut établir. L’expérience pratique et le bon sens, en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, en France, partout enfin, ont compris la nécessité d’institutions intermédiaires, connues soit en Allemagne sous le nom de realschulen, soit chez nous sous celui d’écoles professionnelles, répondant parfaitement aux fins utilitaires que poursuit Diderot et auxquelles il sacrifie l’éducation vraiment supérieure et libérale parce qu’elle est désintéressée. Désintéressée ne veut pas dire inutile, bien au contraire.

Quant aux petites écoles, qui répondent à notre enseignement primaire et dont Diderot ne par le qu’en passant[2], quelques lignes lui suffisent pour trancher d’assez grosses questions : celle de l’obligation d’abord ; il faut que le législateur trouve le moyen de forcer les parens les plus pauvres d’envoyer leurs enfans aux écoles. Celle de la gratuité ensuite ; non-seulement l’école doit être gratuite, mais les élèves doivent y trouver, avec les maîtres, des livres et du pain, du pain, car c’est cela surtout qui autorisera le législateur à exercer une contrainte sur les parens. Quant à la question de laïcité, elle est résolue de la manière la plus péremptoire dans un autre passage où il est dit : « Qu’entre les maîtres il ne faut point de prêtres, car ils sont rivaux par état de la puissance séculière[3]. »

Revenons à l’université, puisqu’il n’y a pas d’intermédiaire entre elle et les petites écoles. Pénétrons, à la suite de notre guide, dans la foule des enfans introduits indistinctement dans le sanctuaire et tous soumis au même régime. C’est évidemment le sanctuaire des

  1. Voir plus haut la réponse de Diderot à cette question : « Qu’est-ce qu’une université ? »
  2. Page 520.
  3. Page 529.