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que former l’esprit et l’élever est bien quelque chose qui a son prix et qu’apprendre à penser en voyant comment pensent les grands écrivains n’est pas un emploi trop déraisonnable des années de collège. Diderot est passionnément utilitaire. Il est en même temps systématique, et ces deux caractères, en se combinant, expliquent le système qu’il propose. Il y a dans cet ouvrage des vues nouvelles avec beaucoup de déclamations qui, supprimées, laisseront voir plus clairement la valeur des argumens. — L’auteur prétend être dans des conditions rares de justice et de justesse d’esprit. Un théologien, consulté par l’impératrice, aurait rapporté tout à Dieu ; le médecin, tout à la santé ; le jurisconsulte, tout à la législation ; le bel esprit, tout aux lettres. Quant à lui, assez versé dans toutes les sciences pour en connaître le prix, pas assez profond dans aucune pour se livrer à une préférence de métier, il est sûr de ne pas apporter dans son œuvre l’esprit exclusif que tout autre y eût mis. Voyons jusqu’à quel point sera tenue cette promesse d’impartialité.

Diderot est le vrai père de ce qu’on appelle de nos jours l’éducation professionnelle. Ceux de nos contemporains qui sont partisans absolus de cette éducation peuvent faire dans ce Projet une abondante moisson d’idées conformes à leurs vues et d’épigrammes contre les doctrines contraires. On n’a pas dit mieux que lui, et l’on a dit beaucoup moins bien, en faveur de cette thèse et contre la thèse que j’ai appelée idéaliste. — Il se demande d’abord : « Qu’est-ce qu’une université ? » Qu’on remarque la réponse qu’il fait à cette question. Nous y saisirons le principe de plusieurs idées chimériques, qu’il développera plus tard. « Une université, dit-il, c’est une école dont la porte est ouverte indistinctement à tous les enfans d’une nation et où des maîtres, payés par l’état, les initient à la connaissance élémentaire de toutes les sciences. » De là cette conséquence immédiate que les lois de l’enseignement doivent être faites pour la généralité des esprits et la pluralité des professions. Il faut donc que ces lois soient utiles au plus grand nombre. Tant pis si quelques esprits d’élite en sont lésés. D’ailleurs, est-ce qu’on élève le génie ? Il suffit que l’éducation publique ne l’étouffe pas. — Nous ne devons pas nous occuper des brillantes exceptions : c’est pour le plus grand nombre qu’il faut travailler, et ce qu’on doit faire, c’est tout le contraire de ce que fait Rollin dans son Traité des études : il n’a d’autre but que de faire des prêtres ou des moines, des poètes ou des orateurs. « Aigle de l’université de Paris, » c’est bien de cela qu’il s’agit ! Ce qu’il nous faut à nous, c’est plus de médecins que d’hommes de loi, plus d’hommes de loi que d’orateurs, presque point de poètes, et le moins possible de prêtres. Pour cela, que devons-nous faire tout d’abord ? Renvoyer