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dans ce parlement nouveau, ce sont les influences conservatrices qui dominent par la majorité, par le ministère, et ce mouvement conservateur coïncide avec la marche de l’Autriche vers l’est, avec l’occupation de la Bosnie et de Novi-Bazar. Cette rentrée des Slaves de la Bohême dans la vie publique s’accomplit au moment où l’empire semble tendre de plus en plus à s’assimiler d’autres populations slaves. Tout se tient dans ces incidens, et, par une singularité de plus, c’est un Hongrois, c’est le comte Andrassy qui, par sa politique d’extension en Orient, a préparé la réconciliation de la Bohême.

Que résultera-t-il de tout ce mouvement qui commence à peine ? Les conséquences pourront être assurément de diverses natures, et également graves dans la politique intérieure comme dans la politique extérieure. Il est bien clair que les Tchèques, en reprenant leur place dans les conseils, dans le parlement, voudront jouer un rôle proportionné à leur importance. S’ils ont accepté l’ordre constitutionnel tel qu’il existe, ils se proposeront d’en modifier certaines parties, tout au moins ce qui a été fait un peu contre eux ou à leur détriment. Même en se laissant modérer par un ministère qui reste assez libéral, ils tiendront à exercer leur influence, et le mouvement conservateur, dont leur rentrée est l’expression, ne fera peut-être que s’accentuer dans les affaires intérieures de l’empire. Il n’est pas moins évident que la politique nationale de l’Autriche, une fois engagée dans la direction qu’elle vient de prendre, devra nécessairement se ressentir de plus en plus de tout ce qui relève et fortifie la prépondérance slave. Il sera difficile peut-être de s’arrêter dans cette voie. À mesure que les événemens se dérouleront cependant, le dualisme sur lequel a reposé depuis bien des années l’existence constitutionnelle de l’Austro-Hongrie ne sera-t-il pas soumis à de singulières épreuves et ne risquera-t-il pas d’être ébranlé ? Les Hongrois se tiendront-ils pour satisfaits de cet accroissement de l’importance slave qu’ils ont toujours vu avec ombrage ? Le comte Andrassy aura-t-il assez d’autorité pour les rallier à une politique qui, sous prétexte de contenir la Russie en Orient, peut avoir de si étranges résultats pour la Hongrie ? C’est tout un ordre nouveau qui commence, c’est une évolution où les péripéties inattendues peuvent se succéder, et où, sous plus d’un rapport, les intérêts de l’Europe sont eux-mêmes peut-être engagés.

Ch. de Mazade


Le directeur-gérant, C. Buloz.