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article 7 qui fait plus de bruit qu’il ne vaut. Ils n’ont pas besoin d’en faire confidence : leur réserve visible, leurs opinions connues parlent pour eux. M. Waddington avec son esprit calme, juste et libéral, n’est point certainement homme à approuver des mesures qui pourraient devenir une persécution religieuse, qui ne l’aideraient pas d’ailleurs dans son rôle de ministre des affaires étrangères, et le langage qu’il tenait, il y a quelques semaines, à Laon ne laisse aucun doute sur le fond de sa pensée. Quand on se souvient de tous les discours que M. le ministre des travaux publics prononçait l’an dernier dans un voyage plus fructueux et plus utile que celui de M. Jules Ferry, quand on se rappelle ces paroles si sensées, ces appels séduisans à la conciliation et à l’équité, on sait d’avance ce que M. de Freycinet peut penser d’une politique d’irritante agression et de conflits. M. Léon Say, avec son intelligence libre et fine, n’est sûrement pas disposé à entrer en guerre pour l’article 7. M. le ministre de l’instruction publique a pu parler pour lui, il n’avait aucun droit, aucun mandat pour engager ses collègues, pas plus que M. le président de la république lui-même, et c’est en cela justement qu’il s’est exposé à compliquer la situation en dépassant son rôle ; après tout, il n’était pas un chef de cabinet ayant le droit de dire le dernier mot du gouvernement.

M. le ministre de l’instruction publique a fait une chose plus grave. À travers tout ce bruit de discours, de toasts, d’ovations prétentieuses ou puériles dont le midi de la France a été assourdi pendant quelques jours, il n’est pas difficile de démêler l’intention de trancher la plus sérieuse question du moment par une sorte d’arrêt d’opinion populaire ; on a espéré, c’est bien clair, peser par cette série de manifestations retentissantes sur les modérés du centre gauche, sur les libéraux qu’on appelle galamment les « timorés, » sur le parlement, sur le sénat. Flatteries, menaces ou dédains, tout y est ; tout est combiné de façon à créer l’illusion d’une sorte de consultation spontanée du pays et à ne laisser aux modérés, au sénat, que la triste ressource de se soumettre — ou peut-être de se démettre. M. le ministre de l’instruction publique lui-même, oubliant qu’il devait donner l’exemple de la réserve et du respect pour la liberté du parlement, M. le ministre de l’instruction publique n’a pas craint de s’associer à cette tentative de pression qu’il lui plaît de représenter comme la manifestation du sentiment unanime de la France. M. Jules Ferry n’a pas un doute, il dispose d’avance du vote du sénat, et pour mieux ménager sans doute la dignité d’une assemblée qu’il appelle a la chambre de la réflexion et de la sagesse politique, » il la menace tout simplement d’une révolution si elle ne se hâte pas de voter ; il lui dit sans façon que « l’on crie aujourd’hui : Vive l’article 7 ! comme on criait en 1847 : Vive la réforme ! et qu’il faut se garder d’imiter le gouvernement d’alors, qui refusa d’entendre la voix de la nation. »