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sive de tous. L’ouvrage de M. Gazier peut nous servir très utilement à mesurer ce qui manquait encore, sous l’ancien régime, à l’organisation de l’instruction primaire, et par conséquent à tempérer un peu de l’enthousiasme que les textes que nous avons cités risqueraient d’éveiller chez quelques partisans outrés du vieux temps.

En 1790, le célèbre abbé Grégoire, vivement préoccupé des obstacles que la multiplicité, la grande diversité surtout des dialectes locaux et patois pouvait opposer au nivellement révolutionnaire, forma le projet bizarre de les anéantir et fît dresser un questionnaire qu’il envoya probablement à tous les départemens de France. C’est ce questionnaire que M. Gazier nous fait connaître, en y joignant les réponses qu’il a pu retrouver. Elles sont curieuses à plus d’un titre. J’en extrais seulement quelques détails relatifs à ces trois questions de Grégoire : « 1o Dans les écoles de campagne, l’enseignement se fait-il en français? — 2o Chaque village est-il pourvu de maîtres et de maîtresses d’école? — 3o Outre l’art de lire, d’écrire, de chiffrer, et le catéchisme, enseigne-t-on autre chose dans les écoles? » Sur la première question, les réponses varient selon les départemens, — quelques prétendus patois, comme le provençal et le breton, étant des langues véritables, c’est-à-dire un signe d’indépendance antique, de liberté native, qu’un peuple n’abdique pas volontiers, même quand il se fond dans une grande unité nationale. Sur la deuxième question, quelques départemens, le département de l’Aude par exemple, celui du Pas-de-Calais, celui du Jura, répondent qu’il y a des écoles partout; quelques autres, le département du Gers, le département de l’Aveyron, le département des Landes, répondent qu’il n’y en a nulle part. Je les soupçonne tous d’un peu d’exagération, et de leurs témoignages contradictoires je tire une opinion moyenne. Mais ce qu’il y a de caractéristique et de plus intéressant, ce sont les considérations dont quelques-uns des correspondans entourent les renseignemens qu’ils font parvenir à Grégoire. Voici par exemple ce qu’on lui écrit du Gers : « Dans nos campagnes, nous ne connaissons pas d’école fondée ou gratuite où l’on enseigne à lire, à écrire et à chiffrer. Quelque magnifiques que soient les fondations et quelque bien motivées et expliquées que soient les intentions des fondateurs, l’objet n’est jamais rempli ou ne l’a pas été jusqu’ici. Les curés étaient trop maîtres… » On lui répond d’Agen : « Les maîtres d’école, dans les villages où il y en a, apprennent à lire en français et en latin; mais en général ils ont tous la manie de commencer par cette langue, de sorte que l’éducation se réduit presque dans nos campagnes à rendre les élèves capables de pouvoir, les jours de fêtes et dimanches, aider leurs pasteurs à chanter les louanges de Dieu dans une langue qu’ils n’entendent pas. » Il reçoit encore de Bordeaux la lettre suivante : « Généralement parlant, les ecclésiastiques se mêlent peu ou point des écoles. Ils se bornent à l’autoriser par une permission et trouvent toujours l’instituteur assez ca-