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il est daté de 1712. Dans certaines localités, une sorte de jury faisait subir aux candidats tantôt un interrogatoire, tantôt un véritable examen. On a retrouvé des sujets de composition donnés à Bourbourg, en 1764, à quatorze candidats qui se disputaient la place; — ils firent une dictée d’orthographe en français, une dictée d’orthographe en flamand, une page d’écriture, savoir, trois lignes en petit gros, deux lignes en moyenne, deux lignes en ronde et huit lignes en fine[1], une addition, une multiplication, un problème sur la règle de trois et un problème sur la règle de société. Mais d’ordinaire on s’en rapporte au bon jugement du curé d’apprécier les titres et la capacité du candidat. Il y a des raisons nombreuses à cette ingérence du curé dans les affaires de l’école. La première, — je ne dis pas la meilleure, — c’est que le maître est engagé « pour chanter à l’église, assister le sieur curé au service divin et à l’administration des saints sacremens, pour l’instruction de la jeunesse, pour sonner l’Angelus le soir, le matin et à midi, et à tous les orages qui se feront pendant l’année, puiser l’eau pour faire bénir tous les dimanches, balayer l’église tous les samedis, faire la prière tous les soirs depuis la Toussaint jusqu’à Pâques[2]. » Il semble que son devoir d’enseigner soit en quelque sorte noyé dans la foule de ses autres occupations, et qu’il rende plus de services au « sieur curé » personnellement qu’à la jeunesse du pays. Ce n’est pas là, comme le remarque fort à propos l’abbé Mathieu, ce gros monsieur d’instituteur que connaissent aujourd’hui nos campagnes. Aussi la science de ce brave homme d’ancien régime est-elle assez légère, et ce qu’il donne d’instruction se réduit à peu de chose : la lecture, l’écriture, le calcul, quelquefois, dans quelques gros bourgs privilégiés, le plain-chant et les rudimens du latin. Ajoutez que pour une grande partie du territoire, nul, pas même le curé, dont c’est le devoir, ne paraît tenir la main à l’exécution de l’obligation scolaire. Les institutions, édits, ordonnances, règlemens, en tous lieux comme en tout temps, sont nécessairement ce que les hommes les font. Et là surtout fut le vice, en France, de l’ancien régime. Malgré la haute sagesse de quelques-uns de nos rois et de nos ministres, malgré les efforts accomplis depuis Richelieu vers la centralisation, malgré le nombre déjà considérable des agens et fonctionnaires de toute sorte, malgré leur zèle et leur probité déjà proverbiale, le désordre administratif était partout, parce que les attributions de personne n’étaient étroitement déterminées, parce que les droits de tous étaient confus, mêlés, pour ainsi dire enchevêtrés les uns dans les autres, et qu’enfin à chaque instant la meilleure volonté du monde, à moins qu’elle ne fût servie par la force, et par la force matérielle, se heurtait aux priviléges de l’un, à la situation acquise de l’autre, au caractère sacré d’un troisième, à la résistance active ou pas-

  1. De Fontaine de Resbecq.
  2. Babeau.