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qu’à Henri III, sur la manière dont ils ont compris, pour la plupart, leurs devoirs envers la France. Et pourtant même alors la décadence ne fut pas si complète que les ordonnances des rois ne portent la trace de l’intérêt qu’ils attachent à la diffusion de l’enseignement. Quand, par exemple, ils octroient à telle ville une érection d’officiers municipaux, on voit figurer, comme une clause de style, parmi les attributions des consuls, le droit de nommer des maîtres d’école. Il y avait donc des maîtres d’école. La décadence ne fut pas si profonde que le pays en oubliât les bienfaits de l’instruction. En 1492, dans un hameau de Normandie, à la Haye du Theil (350 habitans), nous voyons « que les parens et amis de Marion Boucher, qui vient de perdre son père, la baillent à sa mère et à son tuteur à garder, nourrir et gouverner pendant trois ans, pendant lequel temps ils seront obligés la tenir à l’école et lui trouver livres à ce nécessaires[1]. » On s’intéresse donc, dès lors, même à l’éducation des filles. Je ne nie pas d’ailleurs qu’il y ait une lacune dans l’histoire de l’instruction primaire. Que si vous ajoutez à la guerre de cent ans les dernières guerres féodales et les guerres de religion, vous comprendrez aisément qu’il y en ait une et qu’il faille attendre jusqu’à la fin du xvie siècle, ou même jusqu’au milieu du xviie siècle, pour voir l’enseignement commencer à se relever de ses ruines.

L’Église donna l’impulsion pour la seconde fois. Parmi les nombreux documens rassemblés dans un intéressant ouvrage par {{M.|[[Auteur:Adolphe}} de Fontaine de Resbecq|de Fontaine de Resbecq]][2], je vois que le concile de Trente a voulu « qu’auprès de chaque église il y eût au moins un maître qui enseignât la grammaire gratuitement aux clercs et autres pauvres écoliers. » Évidemment, et M. de Fontaine a raison de le faire observer, c’était en vue d’abord de l’éducation religieuse et du recrutement des autels que les pères du concile enjoignaient la multiplication des écoles. Non pas, à la vérité, comme on l’a soutenu, « que l’esprit du clergé catholique soit entièrement opposé aux progrès des lumières et de la raison » et non pas que l’Église, en aucun temps, ait négligé la cause de l’instruction, mais parce qu’à des attaques nouvelles il fallait opposer une tactique nouvelle. « J’affirme, avait dit publiquement Luther, que l’autorité a le devoir de forcer ceux qui lui sont soumis à envoyer les enfans à l’école… C’est pourquoi je veille, autant que j’y puis veiller, à ce que tout enfant en âge d’aller à l’école y soit envoyé par le magistrat. » Le concile suivait le protestantisme sur son propre terrain et retournait contre lui ses propres armes. Les historiens de l’instruction primaire auront à rechercher si d’ailleurs les pays protestans ont suivi le conseil de Luther aussi fidèlement et surtout aussi promptement qu’on se plaît quelquefois à le dire. Ils trouveront peut-être de bonnes raisons d’en douter. Ils ne feront pas mal

  1. De Beaurepaire, Recherches, etc.
  2. de Fontaine de Resbecq, Histoire de l’enseignement primaire avant 1789 dans les pays qui ont formé le département du Nord, Paris, 1878, Champion.