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année (1485). A Hambourg, un médecin est condamné au feu pour avoir sauvé une femme abandonnée par la sage-femme. Dans une petite principauté du sud, deux cent quarante-deux personnes, dont plusieurs petits enfans, sont livrées aux flammes dans l’espace de cinq ans. Ailleurs un seul juge, Nicolas Remy, se vante d’avoir brûlé à lui seul, en quinze ans, neuf cents sorciers. Dans la ville de Wurtzbourg, où Faust déclarait publiquement qu’il se chargeait de refaire tous les miracles du Christ, le nombre des victimes se monte à neuf cents en 1659. Il est de six cents dans le diocèse voisin de Bamberg. Des personnes des conditions les plus diverses figurent dans ces holocaustes : artisans, servantes, campagnards, acteurs, bateleurs, étudians, nobles, bourgeois, magistrats, ecclésiastiques, simples passans. Les listes portent des annotations de ce genre : « Le maître de l’hospice, homme très savant. » — « La petite Barbara, la plus jolie fille de Wurtzbourg. » — « Un étudiant qui parlait toutes sortes de langues et qui était excellent musicien, vocaliter et instrumentaliter[1]. »

Assurément il y avait des momens de répit. On conviendra pourtant qu’il fallait une certaine audace pour continuer le métier sous des menaces semblables. Faust ne se laissa pas intimider, bien qu’il eût de temps à autre maille à partir avec la police. Il se fiait à son génie naturel, fertile en expédiens, et aux bons avis de ses nombreux admirateurs, pour dépister les archers, qui arrivaient toujours trop tard; au moment où ils entraient par une porte, le docteur disparaissait par l’autre sans qu’on pût retrouver sa trace. Il savait d’ailleurs où se réfugier dans les occasions pressantes. Son bon ami l’abbé Entenfuss, qui le faisait venir dans son monastère de Maulbronn pour apprendre de lui les secrets de l’alchimie[2], ne lui aurait pas refusé un asile en cas de besoin. Une seule fois il fut pris. Mais le prêtre auquel on le remit, au lieu de faire brûler son prisonnier, lui demanda des leçons; il avait été fasciné, comme le sire de Sickingen et tant d’autres. Faust ne tarda pas à reprendre le cours de ses exploits. Ses biographes nous le montrent chevauchant sur un tonneau plein de vin; un autre jour, il se venge d’un moine inhospitalier en lui envoyant un lutin qui met le couvent sens dessus dessous. Son adresse à s’esquiver est devenue la faculté de se rendre invisible; son activité remuante lui a valu le don d’ubiquité. Un pareil homme ne pouvait mourir naturellement. On conte que le diable, l’an 1537 ou aux environs, vint chercher son âme au coup de minuit, avec tout le fracas qui accompagne ces sortes de visites. Le matin on trouva le docteur Faust sur le nez, et quand on essaya de mettre le cadavre sur le dos, il se retourna de lui-même. Les sceptiques racontent la chose d’une autre façon. Ils disent que Faust, s’étant

  1. Voir l’ouvrage de M. Moncure Conway, Demonology and Devil-Lore.
  2. On montre encore à Maulbronn, dans une vieille tour, un laboratoire que les gens du pays appellent « la cuisine du docteur Faust.