Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I.

La légende de Faust repose sur un fonds de vérité. Il y a eu réellement un docteur Johannes Faust, que Mélanchthon a connu, et dont il est question dans les écrits de plusieurs savans de l’époque. On sait qu’il était né à Knittlingen, dans le Wurtemberg, vers la fin du XVe siècle ; quelques personnes s’opiniâtrent néanmoins à le confondre avec l’associé de Gutenberg, l’imprimeur Johannes Fust, qui a vécu une centaine d’années plus tôt. Le père de Faust était, selon les uns, un savant homme, versé dans la science du droit et personnage important dans sa province. Selon les autres, c’était un pauvre paysan, honnête et craignant Dieu, qui consacra le produit d’un petit héritage à donner de l’éducation à son fils. Il va sans dire que la seconde version est celle des récits populaires. La chronique ne devient tout à fait précise qu’à l’arrivée de Johannes Faust à l’université de Cracovie. Nous savons qu’il s’y distingua dans toutes les branches des études, mais surtout dans la magie, à laquelle il s’adonna particulièrement. La magie blanche, ou l’art de produire des effets surnaturels avec des moyens naturels, faisait alors partie de l’enseignement public de certaines écoles. Les savans du temps, Paracelse tout le premier, ne dédaignaient pas d’en suivre les leçons, qui devaient assez ressembler à des séances de physique amusante. On y apprenait des tours de jonglerie dont un esprit pratique pouvait tirer parti à l’occasion ; nous verrons tout à l’heure que le docteur Faust n’y manqua point. Quant à la magie noire, où les démons servaient d’auxiliaires à l’opérateur, ou la cultivait aussi, mais sans l’avouer.

Son stage d’étudiant terminé, Faust embrassa une profession particulière au moyen âge ; il se fit scholasticus vagans, écolier errant : métier adorable, si ceux qui l’exerçaient ne l’avaient gâté. Avoir vingt ans, se bien porter, n’être ni un sot ni un ignorant, et se lancer à pied à travers les grandes Allemagnes ; n’avoir nul souci du lendemain, puisque le scholasticus vagans exerçait un droit de tribut sur les anciens écoliers ; suivre sa fantaisie, coucher à la belle étoile comme Rousseau, comme lui jouir du grand air, du bon appétit gagné en marchant, s’endormir et s’éveiller en rêvant d’aventures étranges, traverser le matin, l’œil au guet, une forêt mal famée, entrer le soir, à l’heure où les fenêtres s’éclairent, dans une ville aux grands pignons et aux toits aigus ; compter sur le hasard, qui sourit toujours à la jeunesse : c’est la poésie même, et c’était la vie de l’écolier errant. Il allait de ci, de là, libre et capricieux comme le vent qui passe, aujourd’hui professeur, remplaçant le pédagogue empêché ; demain louant ses services à M. le curé pour entonner la grand’messe, prêchant même à sa place pour peu qu’il l’en priât ; bref tenant le milieu, comme le dit très bien M. Carl Engel, entre le