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Ce sont là des excès; on ne doit pas oublier qu’il y eut des différences entre ces barbares, et nous savons par les lettres de Cassiodore que Théodoric, roi des Goths, se fit le protecteur des monumens romains. Ce dernier souvenir ne saurait toutefois effacer celui des désastres que les incursions des peuples germaniques ont causés en Italie. C’est une sorte de mode aujourd’hui de les dire inoffensives; mais la réalité historique proteste. Le pillage des troupes d’Alaric en 410 n’a duré que trois jours, il est vrai, et le chef visigoth, nous dit-on, avait recommandé à ses hommes de respecter les trésors de saint Pierre et de saint Paul. Ses soldats n’en ont pas moins mis le feu aux jardins de Salluste et saccagé la ville. Alaric lui-même emporta, — Procope les a vus dans son camp devant Carcassonne, — les vases sacrés de Salomon avec toute une partie des dépouilles romaines de Jérusalem. Les Vandales de Genseric, quarante-cinq ans plus tard, furent incontestablement beaucoup plus redoutables. Leur chef leur avait accordé un séjour dans Rome de quatorze jours; le pillage se fit méthodiquement, quartier par quartier; ils dépouillèrent d’abord le palais des Césars, sur le Palatin; puis le temple de Jupiter, sur le Capitole; ils en emportèrent les statues, que Genseric destinait à son palais d’Afrique; ils en ruinèrent la toiture pour en ravir les lames de plomb doré. — Le sac de Rome par Ricimer en 472, et un nouveau siège par les Goths de Vitigès, ne furent pas moins désastreux. Vitigès, en coupant les quatorze aqueducs, œuvre magnifique de l’antiquité, ne privait pas seulement Rome de ces eaux salutaires qu’elle recevait depuis des siècles; il la menaçait encore de la famine, car les moulins à blé étaient situés sur la pente du Janicule, en face du ponte Sisto actuel, là où cette même eau de Trajan, qui se précipite encore avec force en traversant la fontaine Pauline, continue de mettre en mouvement les roues de plusieurs industries. Bélisaire obvia au danger en faisant construire sur le fleuve, aux endroits les plus resserrés, ces moulins flottans que le courant seul fait tourner[1]; ils se multiplièrent à partir de cette époque jusqu’à notre temps, qui les a proscrits avec raison comme un obstacle contribuant au terrible danger des inondations. Le pire résultat de la mesure prise par les Goths de Vitigès fut que les conduits, interrompus et désormais mal réparés, laissèrent échapper leurs eaux dans la campagne romaine, y précipitèrent les ruines, et y formèrent ces marécages qui, négligés pendant des siècles, enfantèrent la corruption, le mauvais air, la solitude et la mort.

  1. Ce sont les aquimoli du moyen âge. Voir à ce sujet le curieux travail de M. Corvisieri sur les anciennes poternes du Tibre dans Rome, au tome premier du très intéressant recueil intitule : Archivio della società romana di storia patria, 1878.