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jours à peine après avoir pris ses campemens, l’armée carthaginoise se trouva infectée; le poison s’insinuait sournoisement dans les rangs. Les Libyens, mal vêtus, furent atteints avant tous les autres. On inhuma les premières victimes: bientôt la mortalité fut telle, le désordre devint si affreux qu’on ne prit plus la peine d’enterrer les morts. Ces miasmes pestilentiels aggravèrent encore l’épidémie. Les troupes de Carthage ne sont pas les seules qui aient eu à regretter d’avoir dressé leurs tentes sur un sol insalubre, les rives du Pamisus et celles du Rio San-Juan ne furent guère plus clémentes aux malheureux soldats du général Maison et aux miens que les bords de l’Anapos aux hordes à demi sauvages d’Imilcon. Néanmoins les armées carthaginoises ont en mainte occasion disparu trop vite pour qu’on ne soit pas tenté de flairer, sous leurs nombreux désastres, une absence complète de police. Ces camps, qui se convertissent si promptement en cloaques, auraient probablement gagné à connaître et à emprunter à la loi religieuse des Juifs les règlemens de salubrité de Moïse.

Une armée en proie à la peste est une armée facile à surprendre. Les Carthaginois avaient déjà perdu cinquante mille hommes; Denys jugea le moment venu de les aller assaillir dans leurs lignes. Leptine et Pharacidas reçurent l’ordre d’attaquer à la pointe du jour les navires ennemis. Denys se chargea de seconder ce mouvement par une diversion. Éveillés en sursaut, les soldats d’Imilcon se portent en toute hâte sur le point où le danger paraît le plus pressant; Denys vient de s’emparer, à l’exemple de Gylippe, d’un des forts du Plemmyrion. En ce moment même, les vaisseaux de Leptine et de Pharacidas se détachent du rivage. Avant que les soldats d’Imilcon aient pu remonter à bord des trières abandonnées aux rameurs, la flotte de Syracuse a engagé l’action. Aux clameurs qui s’élèvent, au fracas retentissant des proues qui se heurtent, Denys reconnaît que ses ordres ont été fidèlement exécutés; il accourt à cheval, suivi de ses troupes. Un groupe composé de quarante quinquérèmes résistait encore : « Des torches ! apportez des torches ! On brûlera ce qu’on n’a pu couler. » Un vent violent régnait dans la baie; la flamme est portée des bâtimens à rames aux navires de charge, les câbles prennent feu, et les vaisseaux qui s’en vont en dérive propagent d’un bout de la ligne à l’autre l’incendie. Il restait aux Carthaginois quarante trières; les troupes d’élite s’embarquèrent avec Imilcon sur ces quarante vaisseaux dans l’espoir de pouvoir gagner le large à la faveur des ombres de la nuit. Les Corinthiens découvrirent l’escadre fugitive au moment même où elle franchissait la passe. Ils se mirent, sans perdre un instant, à sa poursuite; ils ne purent néanmoins atteindre que quelques vaisseaux retenus,