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flatté de garder la possession de la mer; la fortune ne seconda pas cet espoir. Leptine fut enveloppé par les forces supérieures de Magon, l’amiral de Carthage; il perdit plus de cent bâtimens et de 20,000 hommes. Denys ne s’émut pas outre mesure d’un si grave échec; le triple rempart de Syracuse le rassurait.

Ce fut cependant un spectacle bien fait pour porter la terreur dans le cœur des Syracusains que celui de la flotte de Magon venant s’établir au centre du bassin qui avait jadis accueilli les trières athéniennes. Les bâtimens à rames des Carthaginois marchaient en tête. Rangés en bataille sur une ligne de front, la poupe magnifiquement décorée de dépouilles, ces vaisseaux de combat occupaient presque tout l’espace qui s’étend entre Ortygie et Plemmyrion. En arrière de cette première ligne s’avançaient, masse serrée et confuse, plus de mille vaisseaux de transport. Les Carthaginois, de Messine à Catane, avaient ramassé sur la route tout ce que la Sicile employait de navires à trafiquer avec l’Italie. La baie, si spacieuse qu’elle fût, semblait trop étroite pour contenir tant de galères étendant au loin leurs rames, tant de barques déployant le nuage de plus en plus épais de leurs voiles. La flotte carthaginoise avait à peine jeté l’ancre que l’armée d’Imilcon déboucha dans la plaine. L’immense armée se développa lentement des rives de l’Anapos au promontoire de Plemmyrion. Pour protéger son front de bandière, elle s’occupa sur-le-champ d’élever au bord de la mer trois camps palissades. Denys contemplait avec calme ces préparatifs du haut des remparts, qu’il avait de longue date garnis de balistes et de catapultes. Il se savait en mesure de prêter, grâce à cette artillerie, un appui efficace aux navires qu’il attendait du Péloponèse. Son beau-frère Polyxène était en effet parti à la première alarme, muni d’une somme considérable, pour Lacédémone et pour Corinthe. Il avait ordre d’en ramener des renforts à tout prix. Trente vaisseaux longs arrivèrent les premiers sous la conduite du Lacédémonien Pharacidas. La flotte carthaginoise ne réussit pas à les intercepter. Cette preuve manifeste d’impuissance ranima le courage des Syracusains. Peu importait d’ailleurs que les Syracusains tremblassent, si le chef qu’ils s’étaient donné demeurait impassible. La fermeté du commandement vaut encore mieux que l’ardeur enthousiaste du soldat, et la fermeté de Denys s’était promis de laisser aux marais de l’Anapos, à ces terribles marais qui avaient déjà englouti une armée athénienne, le temps de faire leur œuvre. L’été devenait brûlant; une chaleur suffocante succédait, vers midi, aux brouillards glacés du matin. Nous qui avons connu les rosées du Mexique, nous savons ce que ces alternatives peuvent produire: la fièvre paludéenne en est inévitablement la conséquence. Trente