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d’une faction proscrite, ce scribe de génie a gardé trente-huit ans le pouvoir. Je ne m’occuperai qu’en passant de son administration, je raconterai le plus brièvement possible ses campagnes; en revanche, j’étudierai avec un soin tout particulier ses flottes et ses arsenaux.


II.

Avant de trouver dans Rome l’ennemi qui la devait détruire, Carthage fut deux fois mise en sérieux péril par les chefs démagogiques de la Sicile. Le trait particulier de cette lutte acharnée qui ne dura pas moins de cent ans, c’est la facilité avec laquelle les deux partis contraires recrutaient des auxiliaires sur le sol même qu’ils venaient envahir. Les Libyens d’un côté, les Sicules de l’autre, jouèrent un rôle important dans ces agressions. Même après ses plus sanglantes défaites, Carthage n’en gardait pas moins des alliés et des places d’armes en Sicile. La pointe occidentale de l’île, de Palerme à Marsala, lui appartenait. Ce fut à la déposséder de ce territoire que Denys mit, dès le début, tous ses soins. Il ne prit cependant l’offensive que lorsqu’il crut avoir rendu par des fortifications nouvelles Syracuse imprenable. L’île d’Ortygie constituait la partie la plus forte de la ville; Denys l’entoura de murailles, et dans l’intérieur de cette première enceinte fit élever à grands frais une citadelle. On se souvient que, dans la guerre attique, Syracuse faillit être investie, d’un bras de mer à l’autre, par un mur de circonvallation[1]. Pour prévenir le retour d’une pareille tentative, Denys jugea nécessaire de fortifier les Épipoles. Soixante mille ouvriers de condition libre, six mille couples de bœufs achevèrent en vingt jours un travail qui n’avait pas moins de cinq kilomètres et demi de développement. Syracuse, nous l’avons déjà dit, possédait deux ports. La nouvelle enceinte enveloppa le petit port situé au nord-est d’Ortygie. Cette darse pouvait contenir soixante trières; Denys en rétrécit l’entrée et n’y laissa passage que pour un vaisseau. Sur les bords de ce premier bassin il établit ses chantiers. Les versans de l’Etna étaient alors couverts de forêts de plus et de sapins; le tyran jeta sur ces pentes boisées une véritable armée de bûcherons. Les arbres abattus étaient sur-le-champ transportés à la mer. Des barques les prenaient sur le rivage et les amenaient à Syracuse. Ces mêmes barques allaient chercher des bois de construction jusqu’en Italie. Plus de deux cents navires furent mis d’un seul coup sur les chantiers; cent dix autres subissaient en même

  1. Voyez dans la Revue du 15 mars 1879 l’Expédition de Sicile.