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par leurs richesses ou par leur naissance qu’il convient d’appeler au commandement des armées; les meilleurs généraux, ce seront les généraux les mieux intentionnés. » Sur ce conseil, le peuple prend feu et choisit d’emblée d’autres chefs. Naturellement Denys est du nombre. L’habile démagogue se garde bien de se confondre avec ses collègues ; il les tient à distance et les laisse combiner leurs plans à loisir. Quand ces plans sont à la veille de s’exécuter, Denys les déclare tout d’abord détestables. « Cette fois encore, le peuple a eu la main malheureuse; ce sont de nouveaux traîtres que, pour sa perte, il vient d’élire. » le vigilant défenseur qu’a rencontré l’état! Combien ce peuple dont il protège, en toute occasion, la simplicité confiante ne lui doit-il pas de reconnaissance! Denys cependant se trouve trop isolé dans Syracuse. La multitude l’écoute, la multitude l’acclame; seulement la multitude est sujette à de soudains caprices, et ses idoles ont toujours chancelé sur leur piédestal. Il faut une base plus sûre à cette jeune ambition qui se pique avant tout d’être prévoyante. Denys songe à rouvrir les portes de Syracuse aux bannis qui furent jadis avec lui les compagnons d’Hermocrate, bannis dont il a bien pu seconder les projets aux jours des grandes et généreuses espérances, mais dont il lui parut inutile, quand survint la déroute, de partager la mauvaise fortune. Cette troupe de proscrits, incessamment grossie par de nouvelles rigueurs, formait presque une armée. » Eh! quoi, s’en allait déclamant en tous lieux Denys, on fait venir d’Italie des soldats; on recrute des mercenaires jusque sur les côtes du Péloponèse et l’on refuserait à des concitoyens que nulle offre de Carthage n’a encore pu séduire, le droit d’accourir sous les drapeaux de la patrie menacée et de verser ce qui leur reste de sang pour délivrer le sol natal de ses envahisseurs! » Le peuple ne tarde pas à reconnaître combien cette interdiction est à la fois impolitique et injuste; il se consulte un instant et abolit sur l’heure les décrets d’exil. Denys aura désormais pour garde les Syracusains auxquels il a rendu leur foyer.

Le moment est-il donc venu de jeter le masque? Un impatient le croirait : l’impatience a souvent compromis les plus belles parties ; Denys ne commettra pas la faute de se mettre prématurément en campagne. Le trésor est vide : quelle figure ferait un usurpateur obligé de refuser, le lendemain de son avènement, la solde à ses troupes? L’impôt des riches est une ressource dont on pourra user à son heure. Commençons par chercher en dehors de Syracuse quelque mine encore vierge à exploiter. Les habitans de Géla se présentent tout à point pour sortir l’astucieux conspirateur d’embarras. Menacés par Imilcon, ils implorent avec larmes l’assistance