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d’Actium nous servirait peut-être à éclaircir ce point. Tout est à méditer dans la guerre navale, surtout à une époque de révolution scientifique. Dieu veuille que l’avenir ne réserve pas à nos monstrueux léviathans quelque leçon semblable à celle qui fut infligée à la flotte d’Antoine par les liburnes d’Octave !

Quand on se propose « de faire grand, » on s’expose à faire quelquefois démesuré. Le génie n’est-il pas, par lui-même, une exagération? Aussi le législateur antique ne le considérait-il que comme un germe périlleux destiné à faire éclater tôt ou tard la cité, « Les grands hommes, prétendait Solon, sont la ruine d’un état. » C’est pour maintenir dans la cité de Minerve une sorte de végétation rabougrie que ce prudent esprit inventa l’ostracisme. Le résultat, par bonheur, ne répondit point complètement à son attente. L’ostracisme ne fonctionnait pas, comme l’élection, à des époques prévues et déterminées d’avance ; il fallait que quelque orateur prît sur lui d’en venir réclamer l’application. « Ne vous semble-t-il pas, disait cet amant jaloux de l’égalité au peuple devenu plus que jamais attentif à sa harangue, qu’il y a déjà bien longtemps que nous n’avons émondé notre jardin? J’aperçois d’ici plus d’une tige ambitieuse qui m’inquiète ; un bon coup de faux, suivant moi, ne gâterait rien. » Sur cette motion, presque invariablement accueillie, les prytanes convoquaient d’urgence les tribus ; les hérauts couraient sur les bords du Céphise, sur le penchant méridional du Parnès, arrachaient les cultivateurs à l’exploitation de leurs terres, à la surveillance de leurs ruches, de leurs plantations de vignes ou d’oliviers, et les poussaient tout haletans vers Athènes. « Qui bannissons-nous aujourd’hui pour cinq ans? » Chacun prenait une coquille, un tesson de terre cuite et y inscrivait le nom du citoyen dont il jugeait essentiel de débarrasser momentanément la communauté. Au centre de l’agora se trouvait ménagé un espace circulaire qu’entourait une grille; dans l’intérieur de cette urne gigantesque les votans sont venus jeter l’un après l’autre leur bulletin, c’est aux magistrats maintenant de compter les suffrages, y en a-t-il six mille? le peuple est en nombre pour prononcer son arrêt. Au-dessous de ce chiffre, le vote serait nul. Le triage s’opère, le nom du banni est proclamé. Les envieux respirent, et la cité est sauve.

Voilà, en vérité, une belle législation ! Le peuple de Syracuse eut un instant l’idée de se l’approprier ; il fit seulement l’économie des tessons. Ce fut tout simplement sur des feuilles d’olivier qu’à Syracuse on écrivit le nom du citoyen éminent dont l’heure était venue de rabaisser l’orgueil en lui faisant connaître les amertumes de l’exil. Le pétalisme était une institution d’origine étrangère; il ne réussit pas à s’acclimater en Sicile. Tout ce