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[1]. » Sur l’hérédité, les conformations et les maladies héréditaires, notre moisson serait aisément abondante : « La nature se plie à l’habitude. Je ne suis pas éloigné de croire que la longue suppression d’un bras n’amenât une race manchote[2]. » Et, à ce propos, l’éditeur appelle en témoignage M. de Quatrefages, qui citait un jour ce fait, dans un rapport à la Société d’anthropologie, qu’au dire des voyageurs sérieux, les chiens des Esquimaux viennent au monde sans queue, à la suite de l’ablation de cet organe chez leurs parens. — Le développement des organes est généralement en rapport avec le besoin qu’on en a et la vie qu’on mène : « Le défaut continuel d’exercice anéantit les organes, l’exercice violent les fortifie et les exagère. Rameur à gros bras, portefaix à gros dos, jambes du sauvage[3], etc., etc. » L’animal crée donc et développe presque à volonté ses organes. La théorie des monstres est intimement liée à celle des organismes réguliers : « Qu’est-ce qu’un monstre ? Un être dont la durée est incompatible avec l’ordre subsistant. Il y a autant de monstres qu’il y a d’organes dans l’homme et de fonctions ; des monstres d’yeux, d’oreilles, de nez, qui vivent tandis que les autres ne vivent pas ; des monstres de position de parties, des monstres par superfétation, des monstres par défaut. » Et, à ce propos, Diderot s’égaie à l’idée d’un homme qui aurait deux têtes : l’une pourrait être incrédule, l’autre dévote. Dans le même moment, l’être serait sollicité par deux désirs contradictoires : celle-ci voudrait aller à la messe, l’autre à la promenade ; l’une prendrait telle femme en passion, l’autre en aversion, à moins peut-être qu’avec le temps l’harmonie ne s’établît entre les deux têtes et que l’homme n’agît comme s’il n’en avait qu’une[4].

N’y a-t-il pas quelque idée de la concurrence vitale et de la sélection naturelle dans cette sentence, qui est le dernier mot du livre : « Le monde est la maison du fort[5]. » Sous une forme trop concise, n’est-ce pas la traduction anticipée de cette loi célèbre d’après laquelle les mieux doués pour la bataille de la vie survivent, les individus ou les variétés privilégiées de quelque avantage triomphent, et le monde, livré à un combat sans pitié, devient le théâtre de la sélection qui s’opère au profit des plus forts ? « Les êtres contradictoires sont ceux dont l’organisation ne s’arrange pas avec le reste de l’univers. La nature aveugle qui les produit les extermine ; elle ne laisse subsister que ceux qui peuvent coexister avec l’ordre général[6]. »

  1. Pages 330, 331
  2. Page 419.
  3. Pages 419-420.
  4. Page 419.
  5. Page 428.
  6. Page 253.