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laquelle chaque organisme se résout en une multitude d’organismes élémentaires, tous également vivans, et qui soutient que l’animal n’est au fond qu’une réunion d’animaux.

Il y a une vie particulière des organes, et il y a une vie commune, qui résulte de la sympathie et des habitudes réciproques qu’ils contractent entre eux. La vie propre à chaque organe se caractérise très nettement. Chacun a son plaisir et sa douleur particulière, sa position, sa construction, sa fonction, ses maladies accidentelles, héréditaires, ses dégoûts, ses appétits, ses remèdes, ses sensations, ses volontés, ses mouvemens, sa nutrition, ses stimulans, son traitement approprié, sa naissance, son développement, sa vieillesse et sa décrépitude[1]. La même maladie transférée par métastase d’un organe à un autre présente des phénomènes et produit des sensations plus variées que la même maladie fixée au même lieu dans des animaux différens. La goutte brûle, pique, déchire le pied; à la main, c’est autre chose; sur les intestins, à l’estomac, aux reins, aux poumons, à la tête, aux yeux, aux articulations, autant de douleurs différentes. — Mais en même temps que la vie propre des organes, il y a leur vie commune qu’il faut considérer. Chacun d’eux a son caractère d’abord, puis son influence sur les autres. Te là la variété des symptômes qui semblent propres à un seul et étrangers aux autres, qui en sont pourtant affectés. — Ils sent forcés de se concilier et de se mettre en société. Chacun d’eux sacrifie pour cela une partie de son bien-être au bien-être d’un autre. Ce qui soustrait les organes à leur vie égoïste et isolée, c’est la sympathie (le partage de la sensation commune) et c’est aussi l’habitude[2]. L’animal chez lequel cette sympathie et ce que Diderot appelle les habitudes sourdes ne parviennent pas à s’établir meurt fatalement. Il meurt aussi celui chez lequel ces habitudes et ces sympathies sont violemment troublées, et la mort n’est que la rupture d’équilibre de ces fonctions réciproques et simultanées qui font l’harmonie et la vie.

Ce qui explique l’unité de sensation dans l’être vivant, c’est la continuité de la sensation, laquelle s’explique par la contiguïté des organes, c’est-à-dire des parties élémentaires de l’organisme, toutes sensibles et vivantes. Ces organes élémentaires, sensibles et contigus, ont été symbolisés par la célèbre image de la grappe d’abeilles, qui tient une si grande place dans le Rêve de d’Alembert : « Si l’une de ces abeilles, dit le philosophe rêvant, s’avise de pincer d’une manière quelconque l’abeille à laquelle elle est accrochée, celle-ci pincera la suivante ; il s’excitera dans toute la grappe autant de sensations qu’il y a de petits animaux ; le tout s’agitera,

  1. Pages 332, 335.
  2. Page 334.