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tous les animaux depuis l’homme jusqu’à la cigogne. N’est-ce pas une image de ce qu’a pu faire la nature? On parle de trois règnes et on a raison. Mais le règne végétal pourrait bien être et avoir été la source première du règne animal, et avoir pris la sienne dans le règne minéral, et celui-ci émaner de la matière universelle hétérogène. Il ne faut pas croire que les animaux ont toujours été et qu’ils seront toujours tels que nous les voyons. C’est l’effet d’une longue durée, pendant laquelle leur organisation, leur couleur, leur forme semblent garder un état stationnaire ; mais c’est une apparence seulement. — Les espèces sont-elles stables? Les règnes de la nature sont-ils vraiment séparés? Il faut commencer par classer les êtres, depuis la molécule inerte, s’il en est, jusqu’à la molécule vivante, à l’animal microscopique, à l’animal-plante, à l’animal, à l’homme. La chaîne est tendue à travers les êtres depuis le premier jusqu’au dernier. Mais il arrive que la diversité des formes nous fait croire que cette chaîne est interrompue : ne nous arrêtons pas à cette difficulté. La forme n’est souvent qu’un masque qui trompe : le chaînon qui paraît manquer existe peut-être dans un être connu à qui les progrès de l’anatomie comparée n’ont encore pu assigner sa véritable place. Cette manière de classer les êtres est très pénible et très lente et ne peut être que le résultat des travaux successifs d’un grand nombre de naturalistes. Attendons et ne nous pressons pas de juger.

Il y a contiguïté entre les règnes, comme il y a contiguïté entre les espèces et peut-être identité. Saura-t-on jamais, par exemple, fixer les frontières entre la plante et l’animal, frontières de plus en plus indécises, à mesure qu’une science plus exacte les serre davantage? La définition de l’animal et de la plante est la même. L’animal et la plante sont également une coordination de molécules infiniment actives, un enchaînement de petites forces vives que tout concourt à séparer. De là les phénomènes de la vie et de la mort par lesquels se rapprochent autant que possible l’animal et la plante. Où commence l’un? où finit l’autre? Lorsque Beccari à Bologne eut découvert le gluten en analysant les parties constituantes de la farine, le savant chimiste Rouelle, à Paris, reprit ces expériences et les poussa aussi loin qu’il put les conduire. Il démontra que le gluten était une substance qui ressemblait beaucoup à une substance animale, et il l’appela végéto-animal[1]. — « Par la chaleur et la fermentation, la matière végétale s’animalise dans un

  1. La fibrine végétale tirée du gluten par MM. Dumas et Cahours. Nous prévenons une fois pour toutes que nous bornant ici au rôle de rapporteur, nous ne nous portons garant ni des expériences citées par Diderot, ni des conséquences qu’il en tire, ni de l’exactitude du langage qu’il emploie en chimie et qui ne correspond plus au vocabulaire de la chimie moderne.