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à la suite de plusieurs tentatives, elles sont entrées dans l’esprit public, sinon à titre de vérités conquises, du moins comme des doctrines provisoires dignes d’examen. Ce sont, par exemple, le passage de l’inertie à la sensibilité, de l’inorganique à l’organique, de l’organique à l’être sensible, de l’être sensible à l’être pensant par une série de gradations insensibles; les générations spontanées, « une suite indéfinie d’animalcules dans l’atome qui fermente, une même suite indéfinie d’animalcules dans l’autre atome qu’on appelle la terre; » chaque être considéré comme une république d’êtres microscopiques, chaque animal comme un polype; la fibre un animal simple, l’homme un animal composé; chaque être étant la somme d’un certain nombre de tendances, et les espèces des tendances à un terme commun qui leur est propre; l’être normal un effet commun, le monstre un effet rare, tous les deux également naturels, également nécessaires, également dans l’ordre universel et général; la vie considérée comme une suite d’actions et de réactions, avec cette seule différence qui les distingue de la mort, c’est que vivant j’agis et je réagis en masse, mort j’agis et je réagis en molécules; tout enfin se tenant dans la nature et l’impossibilité qu’il y ait un vide dans la chaîne, les individus n’étant rien qu’une apparition, un moment dans la vie d’un seul grand individu, qui est le tout. — Voilà à coup sûr une philosophie qui nous est devenue familière, que nous reconnaissons sans peine sous les formes particulières de l’esprit de Diderot et de son siècle, que nous voyons s’étendre et se propager autour de nous sous les noms divers du transformisme, de l’évolution ou de la philosophie monistique, comme disent les Allemands, doctrines presque identiques au fond, ne différant guère entre elles que par le caractère métaphysique ou naturaliste qu’elles revêtent dans les divers esprits, ou bien encore par la hardiesse des synthèses qu’elles produisent, l’assurance plus ou moins impérieuse des hypothèses qu’on nous impose et la déduction plus ou moins outrée des conséquences qu’on en tire.

Quel est le naturaliste ou le philosophe de cette école qui ne reconnaîtrait son ancêtre dans celui qui disait, il y a un siècle : « Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces. Tout est en un flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante; toute plante est plus ou moins animal. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu, plus ou moins d’un règne ou d’un autre. » Celui qui tenait ce langage, avant de s’appeler Diderot, s’appelait dans l’antiquité Héraclite, Empédocle, Lucrèce; au XVIIIe siècle, il s’appela tour