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Palmerston, et dut renoncer, le 20 décembre, à former un ministère. Rappelé par la reine, sir Robert Peel ne fit aucune difficulté de reprendre le pouvoir, mais la retraite de lord Stanley indiqua clairement quel serait le programme du cabinet reconstitué.

M. Disraeli était à ce moment à Paris, où il avait l’honneur de voir quelquefois le roi Louis-Philippe, pour lequel il professait une grande admiration. Ce fut de la bouche du roi qu’il apprit le retour de sir Robert Peel au pouvoir, et interrogé par son auguste interlocuteur sur l’issue probable de la crise, il répondit sans hésiter que sir Robert Peel ferait certainement voter l’abrogation des Corn Laws ; mais que ce succès mettrait fin à sa carrière politique. La prédiction s’est vérifiée de point en point, et elle est d’autant plus remarquable que personne, à ce moment, ne partageait la manière de voir de M. Disraeli. On était convaincu que la plupart des tories subiraient en silence l’abrogation des Corn Laws comme ils avaient subi la dotation de Maynooth et tant d’autres mesures qui leur avaient été imposées par sir Robert Peel; au besoin, l’appoint que les libéraux apporteraient au gouvernement compenserait largement la défection des protectionnistes obstinés. Les libre-échangistes, qui touchaient au but de leurs efforts, témoignaient une satisfaction sans bornes, et leurs journaux ne tarissaient pas en railleries sur la résignation dont les défenseurs les plus ardens de l’agriculture ne manqueraient pas de faire preuve, quand la voix de leur ancien chef leur enjoindrait le sacrifice de leurs intérêts et de leurs convictions. Il semblait en effet et que les choses dussent se passer ainsi. Des meetings d’indignation avaient bien lieu dans les comtés ; on y exhalait des plaintes amères contre la conduite du gouvernement; mais on s’en tenait à de vaines protestations; aucune ligne de conduite n’était suggérée, aucune résistance n’était organisée. Le jour fixé pour l’ouverture du parlement arriva sans que les députés tories eussent tenu une seule réunion, sans qu’aucun concert se fût établi entre eux, et sir Robert Peel put croire que son autorité ne recevrait aucune atteinte. L’adresse en réponse au discours de la reine fut proposée par lord Francis Egerton, et appuyée par M. Becket Denison, deux conservateurs convertis aux projets du premier ministre. La mise en scène était donc complète. Après ces deux discours, Peel fit connaître les incidens de la crise qui avait déterminé, un mois auparavant, la retraite du ministère, puis son retour au pouvoir, et il annonça le changement qui s’était opéré dans ses idées relativement aux Corn Laws. Peel était un admirable homme d’affaires; il apportait dans l’exposition des questions de finances une lucidité incomparable; mais sa parole manquait souvent d’éclat et d’élévation : il lui est arrivé rarement d’atteindre à la véritable éloquence. Ce jour-là, il prit un ton hautain