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celle d’un grand nombre de membres de la chambre, qui s’accordaient à considérer le langage que le député de Shrewsbury venait d’employer, et celui dont d’autres députés s’étaient servis en plusieurs occasions, comme tout à fait inconvenant dans la bouche de membres qui prétendaient appuyer le ministère. » Mis en demeure de faire connaître quelles expressions il considérait comme outrageantes, lord Sandon ne sut que balbutier et répéter à diverses reprises qu’il y avait, de la part de députés ministériels, manque de convenance à attaquer le ministère. M. George Smythe releva avec vivacité le reproche adressé par lord Sandon « à certains jeunes députés siégeant sur les bancs ministériels » et revendiqua pour eux la liberté d’exprimer leur opinion. M. Hume, lord Palmerston et plusieurs autres orateurs s’accordèrent à déclarer qu’il n’y avait eu dans le langage de M. Disraeli rien qui fût contraire aux convenances parlementaires et qui excédât les droits de tout membre de la chambre; un député libéral, M. Curteis, tira la morale de cet incident en disant que si les députés ministériels n’avaient pas le droit de s’expliquer et devaient demeurer enchaînés au banc des ministres, il ne pouvait que le regretter pour eux. Une rupture entre la jeune Angleterre et le cabinet devenait inévitable ; M. Disraeli devait la consommer en affrontant à plusieurs reprises le courroux du premier ministre.

La chambre des communes ayant introduit un amendement dans un bill présenté par sir James Graham sur la législation des sucres, Peel déclara qu’il se retirerait, si ce vote n’était pas rapporté. C’était la seconde fois, dans cette session, qu’il manifestait une semblable exigence. La chambre obéit, mais M. Disraeli protesta. « Je me souviens, dit-il, d’avoir entendu en 1841 le très honorable gentleman dire qu’il n’avait jamais uni sa voix aux clameurs contre l’esclavage et qu’il ne se joindrait pas davantage aux clameurs en faveur du sucre à bon marché. Deux ans se sont écoulés; le très honorable gentleman a fait cause commune avec les adversaires de l’esclavage : il a adopté le cri en faveur du sucre à bon marché ; mais il semble que son horreur de l’esclavage s’étende à tout l’univers, hormis aux bancs où siègent ses amis. Là le troupeau d’esclaves est encore à la chaîne ; là le sifflement du fouet se fait entendre tous les jours. » D’une semblable protestation à une déclaration de guerre, il n’y avait qu’un pas. M. Disraeli le franchit dès le début de la session de 1845, à l’occasion de la motion dirigée par M. Duncombe contre sir James Graham, secrétaire d’état à l’intérieur, qui avait fait ouvrir à la poste la correspondance de Mazzini, et avait averti le gouvernement autrichien de la conspiration ourdie par les frères Bandiera. M. Disraeli prit parti contre le ministère, et un incident de la discussion amena entre le premier ministre et lui un échange