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n’est encore venue donner au pays l’explication du changement de politique qui a altéré les relations de deux nations placées à la tête de la civilisation, et que toutes sortes de sympathies politiques et sociales lient l’une à l’autre. Le temps est venu de dégager cette question des ambages de la diplomatie et des fausses appréciations de la presse. C’est par la voix de leurs parlemens qu’une franche explication doit avoir lieu entre la France et l’Angleterre. Un traité de commerce avec la France ferait plus pour Sheffield que les deux Amériques. » Dans la même session, M. Disraeli, prenant la parole sur une motion de M. Roebuck, relative aux affaires étrangères, critiqua de nouveau la politique tracassière de lord Palmerston, auquel il reprocha d’éprouver une jalousie maladive de l’influence russe, et défendit la politique conciliante que pratiquait lord Aberdeen. Quelques jours plus tard, il défendit énergiquement l’attitude prise par le cabinet tory vis-à-vis de l’Amérique dans les négociations qui aboutirent au traité de Washington.

M. Disraeli avait donc le droit d’être compté parmi les amis du ministère, mais c’était un ami indépendant, qui réservait la liberté de son jugement et de son action, comme il l’avait prouvé en présentant, sans avoir consulté les ministres, une motion pour la réforme du service consulaire. Les députés qui s’étaient groupés autour de lui, presque tous jeunes et nouveaux venus dans le parlement, entendaient donner au gouvernement un appui réfléchi et ne point recevoir de mot d’ordre. Cette disposition à l’indocilité devait les conduire fatalement à une rupture avec sir Robert Peel. Le grand ministre était investi, à ce moment, d’une véritable dictature. Non-seulement, il avait été porté au pouvoir par une majorité considérable, mais l’appui que les députés libre-échangistes et même une partie des députés libéraux donnaient à la plupart de ses mesures le dispensait.de compter avec ses partisans. Portant presque seul le poids des affaires, se réservant la haute direction et le dernier mot dans toutes les questions, obligé d’entrer dans mille détails à cause de la complexité des réformes qu’il accomplissait, aux prises avec les difficultés d’une situation que la stagnation du travail, le déficit des récoltes et une agitation redoutable aggravaient tous les jours, sir Robert Peel, malgré sa constitution robuste et ses habitudes laborieuses, succombait à la fatigue : il ne pouvait rien sacrifier à ces obligations de courtoisie et de bienveillante déférence qui s’imposent à un chef de parti. On le voyait arriver à la chambre des communes, l’air soucieux et préoccupé, vêtu d’un habit trop grand et d’un pardessus plus ample encore, qui ajoutaient à l’effet de sa haute taille et de sa large encolure. Tout le monde s’écartait instinctivement devant lui : il passait sans reconnaître et sans saluer personne, et d’un pas lent et silencieux,