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la politique, le penseur qui a sondé tous les arcanes de la philosophie. Sidonia approuve le projet de Tancrède; il encourage le jeune lord à essayer de pénétrer « le grand mystère asiatique, » c’est-à-dire à chercher sur les lieux mêmes le secret de l’irrésistible attraction que l’Asie exerce sur l’Europe. Pour Sidonia comme pour Tancrède, la région qui s’étend du Sinaï et de l’Horeb au Golgotha est une terre privilégiée que la Divinité a choisie pour être le théâtre unique de ses manifestations sensibles. La race qui est issue de cette région et qui a eu le privilège de ces communications directes avec Dieu est marquée d’un sceau spécial, et elle doit à sa supériorité native d’avoir traversé le temps et l’espace sans s’altérer et sans pouvoir être détruite par les races inférieures qui l’ont persécutée. La thèse qui était en germe dans Alroy et qui n’était qu’esquissée dans Coningsby, est ici formulée avec précision et reçoit un développement étendu. Faut-il croire que M. Disraeli parlait lui-même sous le masque de ses personnages, et que ce mélange incohérent d’idées religieuses et de considérations géographiques et ethnographiques faisait partie de ses convictions personnelles? N’est-il pas plus probable que, par cette glorification de la race juive, l’auteur a voulu, au moment où l’émancipation civile et politique des israélites se discutait au sein du parlement, venir en aide à une cause qui lui était chère, et répondre aux argumens injurieux par lesquels les intolérans et les fanatiques repoussaient une mesure aussi équitable? Il ne faut pas perdre de vue que c’est en 1844 seulement qu’un bill, présenté par lord Lyndhurst, l’ami le plus cher de M. Disraeli, ouvrit aux juifs l’accès des fonctions municipales, et lorsqu’une mesure de ce genre rencontrait parmi ses adversaires un homme tel que M. Gladstone, on s’explique l’insistance que M. Disraeli mettait à plaider la cause de la race à laquelle il appartenait. C’est postérieurement à l’apparition de Coningsby et de Tancrède, c’est seulement en 1846 qu’un nouveau bill fit disparaître toutes les incapacités civiles qui pesaient encore sur les israélites, ainsi que les obligations surannées et depuis longtemps tombées en désuétude qui leur avaient été imposées par l’intolérance des âges précédens, comme de porter un costume particulier, de se ceindre d’une ceinture de soie jaune et d’assister, à certains jours, aux offices de l’église anglicane. Ce n’est aussi qu’à partir de 1846 que les israélites ont eu, en Angleterre, le droit d’acquérir des propriétés foncières, de fonder des écoles, des hôpitaux et autres établissemens de bienfaisance et d’attacher à ces établissemens des dotations en immeubles et des rentes perpétuelles. C’est un acte de 1847 qui a donné force légale à leurs mariages et les a autorisés à revendiquer devant les tribunaux les effets civils des unions contractées entre eux. Il a fallu attendre