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consacrées à la politique, M. Disraeli reprendra la plume du romancier, qu’il a déposée après Tancrède, ce sera un nouveau roman religieux, Lothair, qu’il écrira. C’est que M. Disraeli, comme presque tous les esprits élevés et clairvoyans, sait quelle place les idées et les sentimens religieux tiennent dans la vie des peuples : il s’est rendu compte de l’influence que les causes morales exercent en ce monde. A mesure que notre siècle vieillit, la part qu’on est contraint de faire aux questions religieuses dans les préoccupations de chaque jour est plus considérable, et leur action sur la politique devient plus manifeste. La génération présente ne partagerait donc pas l’étonnement qui fut ressenti alors en Angleterre. Non-seulement l’esprit de M. Disraeli était ouvert à ces grandes questions, ainsi que le prouvent la complaisance avec laquelle il s’y étend et le feu qu’il y met; mais l’auteur venait d’assister à la naissance et aux développemens du puseyisme, qui ne s’était pas encore affaibli, et le tableau qu’il voulait tracer de la société anglaise et de ses besoins n’eût pas été complet s’il en avait négligé le côté religieux. Tancrède traduit donc ce besoin de croire et d’arriver à la possession de la vérité qui agitait un si grand nombre d’esprits, qui ébranlait l’église anglicane et amenait tous les jours tant d’hommes éminens à sacrifier leur position et leur avenir à leurs convictions. Cette question s’est tellement emparée de l’auteur qu’elle lui a, dans une certaine mesure, fait perdre de vue son sujet. Dans le plan que nous connaissons, l’objet de cette dernière partie de la trilogie devait être le rôle de l’église dans la société anglaise : ce point y est à peine effleuré, et tout l’effort de l’auteur s’est porté sur la peinture du besoin de croire qui tourmente l’héritier d’une illustre famille.

Lord Tancrède Montaigu, fils aîné du duc de Bellamont, est convaincu que les institutions sociales doivent avoir la religion pour base, parce que les seuls devoirs qui s’imposent obligatoirement à la conscience humaine sont ceux qui lui sont dictés par la foi religieuse. Or il n’aperçoit autour de lui qu’incertitudes, contradictions et mobilité. Toutes les institutions de l’Angleterre ont dévié de leur but; toutes les classes ont abandonné leur rôle traditionnel. La royauté est annulée; l’aristocratie n’a plus que l’apparence du pouvoir, et le peuple se plaint de sa détresse. L’organisation des pouvoirs publics est sans cesse remaniée sans que ces changemens perpétuels, faute d’un principe directeur, mettent fin aux plaintes et aux critiques. C’est l’église qui devrait servir de guide à la nation, puisque son rôle est d’être dépositaire de la vérité; mais l’église anglicane est-elle en possession de la vérité? Si cela était, serait-il possible de laisser subsister à côté d’elle les sectes dissidentes dont l’existence autorise le doute?

Cette incertitude trouble profondément un esprit sincère, préoccupé