Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvres, elle avait compris qu’il fallait imposer à ceux au profit desquels l’église était dépouillée la tâche que celle-ci ne pouvait plus remplir ; l’assistance publique avait été mise à la charge de la propriété foncière. Des abus considérables se commettaient sans aucun doute dans l’application de la loi des pauvres : le mécanisme était coûteux et fonctionnait mal, mais il atteignait son but. Les représentans des comtés, les détenteurs du sol, appliquaient la loi libéralement et sans esprit de lésinerie, et si les économistes et les calculateurs rigides pouvaient trouver qu’il y avait déperdition et mauvais emploi du produit des taxes, du moins la misère était efficacement secourue : il n’y avait ni souffrances criantes, ni irritation contre la société.

Au nom de l’économie politique, mais surtout pour satisfaire des intérêts égoïstes, la nouvelle législation, premier fruit du bill de réforme, avait supprimé l’assistance à domicile. Sous prétexte de faire la guerre à la paresse et de détruire la mendicité, on avait imaginé le work-house, c’est-à-dire le travail forcé, compliqué d’emprisonnement, avec séparation des sexes et rupture de tous les liens de famille : on avait ainsi assimilé les pauvres aux criminels ; à leur tour, les pauvres en face des souffrances morales qui les attendaient préféraient tout au work-house, même la mort par la faim. Des manufacturiers avides, des propriétaires sans entrailles avaient profité de cette législation pour réduire les salaires et se dispenser de tout devoir de charité, renvoyant à l’administration des work-houses le soulagement de toutes les misères et de toutes les infortunes. Le premier qui avait prévu et signalé les effets inévitables de cette loi était M. Disraeli, qui, en sa qualité d’un des juges de paix du comté de Buckingham, avait protesté contre elle : c’était lui encore qui avait rédigé et signé la première pétition présentée au parlement contre cette législation inhumaine : elle avait produit tous les résultats qu’il redoutait.

Déçues dans les espérances dont on les avait bercées, atteintes dans la régularité du travail par le ralentissement des affaires, frappées dans leurs moyens d’existence par la réduction des salaires et acculées au désespoir, au work-house ou à l’émigration, les classes laborieuses étaient en proie à une fermentation permanente : en pouvait-on être surpris ? Le chartisme n’avait pas d’autre origine. Pratiquant les leçons qu’ils avaient reçues, les ouvriers cherchaient dans des changemens politiques le remède à leurs maux. Sans doute ils étaient mal conseillés, leurs manifestations étaient imprudentes et malavisées, ils pouvaient se tromper sur le but à poursuivre et sur les moyens à employer ; mais le chartisme n’avait au fond rien de menaçant pour la société, rien de révolutionnaire : il