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assez utiles au parti pour le comprendre dans la combinaison ministérielle, il accepterait les fonctions qui lui seraient proposées, mais qu’il n’avait rien à demander et ne demanderait rien. À défaut de l’intérêt, serait-ce l’amour-propre qui aurait été blessé chez M. Disraeli ? Cela est encore moins vraisemblable. M. Disraeli n’avait montré aucune de ces aptitudes spéciales qui désignent d’avance un homme public pour certains postes ; il était un nouveau venu dans la chambre et dans son parti, tandis que Peel avait autour de lui une foule d’hommes éprouvés et déjà rompus aux affaires. On n’aurait donc pu lui proposer qu’une place de sous-secrétaire d’état ou quelque autre de ces postes secondaires habituellement attribués aux jeunes gens qui débutent et que l’on veut essayer. À trente-sept ans, dans la plénitude du talent et avec la conscience de ses forces, M. Disraeli pouvait-il ambitionner un poste subalterne ? Était-ce pour si peu qu’il eût abdiqué sa liberté d’action et se fût soumis à la discipline de fer que Peel faisait peser sur ses amis et surtout sur ses collègues ? Ne devait-il pas porter ses vues plus haut et attendre que le temps, les circonstances, le développement de sa situation parlementaire, qui ne pouvait que se fortifier, lui conquissent une situation plus en rapport avec sa valeur réelle ? N’était-il pas préférable de conserver son indépendance afin de pouvoir se consacrer librement à la propagation de ses idées politiques et travailler à grossir le noyau qui se formait déjà autour de lui ?


II.

Parmi les jeunes députés que les deux dernières élections générales avaient fait entrer à la chambre, plusieurs s’étaient laissé séduire par les théories politiques que M. Disraeli exposait avec une éloquence communicative. Il en était dans le nombre que leur position sociale mettait fort en évidence : M. Monkton Miles, lord John Manners, second fils du duc de Rutland, M. George Smythe, fils et héritier du comte Strangford. À côté d’eux se rangeaient des lettrés et des hommes du monde : Henry Hope, le fils de l’auteur d’Anastasinus, Vhytehread, que son zèle apostolique devait conduire au martyre, Faber, le futur restaurateur de l’ordre de l’Oratoire en Angleterre, Tennyson, qu’il suffit de nommer. Presque tous étaient poètes, tous avaient les nobles ardeurs et les généreuses illusions de la jeunesse. Tous rêvaient la régénération morale de l’Angleterre par le réveil des idées religieuses, la réconciliation de l’aristocratie et des classes laborieuses, le soulagement de la misère par la charité, mais surtout par la prévoyance, l’apaisement des haines et des préjugés de caste par une législation plus libérale et plus humaine ;