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Les deux députés de ce bourg, l’un tory, l’autre whig, renonçaient tous deux à se représenter, et deux candidats ministériels s’étaient mis sur les rangs; il s’agissait donc de défendre le siège qui était acquis à l’opposition et de conquérir l’autre. Aussi la lutte fut-elle des plus vives. Les journaux whigs concentrèrent tous leurs efforts contre M. Disraeli. Non-seulement les anciennes accusations furent reproduites, mais l’animosité des whigs ne s’arrêta pas devant la vie privée. Leur agent électoral accusa M. Disraeli d’être perdu de dettes et produisit plusieurs jugemens obtenus contre lui; il fallut que M. Disraeli expliquât qu’il avait répondu pour le marquis de Chandos, et que celui-ci avait satisfait ses créanciers. Le mariage que M. Disraeli venait de contracter le mettait au contraire dans une situation de fortune tout à fait indépendante. Les deux candidats conservateurs furent élus à une forte majorité; leur victoire constituait un succès pour le parti, et M. Disraeli s’empressa d’en informer sir Robert Peel.

Les élections eurent pour résultat la nomination de 366 tories et de 292 whigs ou radicaux : le ministère était donc condamné. Le vote d’un amendement à l’adresse contraignit lord Melbourne à céder la place à sir Robert Peel. Lord Lyndhurst reprit le poste de lord chancelier et lord Aberdeen les affaires étrangères ; sir James Graham devint ministre de l’intérieur et M. Gladstone président du bureau du commerce. On a prétendu que l’hostilité de M. Disraeli contre sir Robert Peel datait de la formation de ce ministère, dans lequel on aurait refusé de lui faire une place. Cette accusation s’appuie sur une insinuation que sir Robert Peel laissa échapper quelques années plus tard dans un moment d’exaspération; on ne prend pas garde qu’il dut la retirer lorsque M. Disraeli le mit en demeure de fournir ses preuves. Cette imputation de motifs intéressés ne saurait se soutenir en présence de la circulaire que M. Disraeli adressait aux électeurs de Shrewsbury plusieurs mois avant la formation du ministère et dans laquelle on lit : « Puisque l’on a poussé la curiosité jusqu’à vouloir pénétrer dans ma vie privée, on ne pourra m’accuser d’ostentation si je déclare que je n’aurais pas sollicité vos suffrages si je n’étais en possession de cette large indépendance qui fait qu’excepté comme marque et récompense de services publics, l’obtention d’une fonction quelconque m’est absolument indifférente. » M. Disraeli comptait dans le ministère des amis, et particulièrement lord Lyndhurst, qui auraient soutenu ses prétentions, s’il en avait élevé. La vérité est qu’au moment de la formation du ministère, un des confidens de Peel vint trouver M. Disraeli et lui donna à entendre que, s’il demandait à faire partie de la nouvelle administration, il recevrait satisfaction. M. Disraeli répondit que, si l’on jugeait ses services