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ce moyen de rupture pour l’avenir. Il faudrait, dans ce cas, que le cardinal lui-même eût consenti à cette fraude. Cependant la conduite qu’il tint dans la suite ne le donne point à penser, car, lors des scènes assez vives auxquelles le divorce a donné lieu, l’impératrice alla quelquefois jusqu’à menacer son époux de publier l’attestation qu’elle avait entre les mains, et le cardinal Fesch, consulté alors, répondait toujours qu’elle était en bonne forme et que sa conscience ne lui permettrait pas de nier que le mariage n’eût été consacré de manière à ce qu’on ne pouvait le rompre que par un acte arbitraire d’autorité.

Après le divorce, l’empereur voulut ravoir encore cette pièce dont je parle; le cardinal conseilla à l’impératrice de ne point s’en dessaisir. Ce qui prouvera à quel point était poussée la défiance entre tous les personnages de cette famille, c’est que l’impératrice, tout en profitant d’un conseil qui lui plaisait, me disait alors qu’il lui arrivait quelquefois de croire que le cardinal ne le lui donnait que de concert avec l’empereur, qui eût voulu la pousser à quelque éclat afin d’avoir une occasion de la renvoyer de France. Cependant l’oncle et le neveu étaient brouillés alors par suite des affaires du pape.

Enfin, le 2 décembre, la cérémonie du couronnement eut lieu. Il serait assez difficile d’en décrire toute la pompe et d’entrer dans les détails de cette journée. Le temps était froid, mais sec et beau; les rues de Paris pleines de monde; le peuple plus curieux qu’empressé; la garde sous les armes et parfaitement belle.

Le pape précéda l’empereur de plusieurs heures et montra une patience admirable en demeurant longtemps assis sur le trône qui lui avait été préparé dans l’église, sans se plaindre du froid ni de la longueur des heures qui se passèrent avant l’arrivée du cortège. L’église de Notre-Dame était décorée avec goût et magnificence. Dans le fond de l’église, on avait élevé un trône pompeux où l’empereur pouvait paraître entouré de toute sa cour. Avant le départ pour Notre-Dame, nous fûmes introduites dans l’appartement de l’impératrice. Nos toilettes étaient fort brillantes, mais leur éclat pâlissait devant celui de la famille impériale. L’impératrice surtout, resplendissante de diamans, coiffée de mille boucles comme au temps de Louis XIV, semblait n’avoir que vingt-cinq ans[1]. Elle était vêtue d’une robe et d’un manteau de cour de satin blanc, brodés en or et en argent mélangés. Elle avait un bandeau de diamans, un collier, des boucles d’oreilles et une ceinture du plus grand prix, et tout cela était porté avec sa grâce ordinaire.

  1. Elle avait quarante et un ans, étant née le 23 juin 1763, à la Martinique. (P. R)