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l’empereur montant le premier pour donner la droite au pape (dit le Moniteur de ce jour), et ils revinrent ensemble au château.

Le pape était arrivé un dimanche[1] à midi. Après avoir pris quelque repos dans son appartement où l’avaient conduit le grand chambellan (c’est-à-dire M. de Talleyrand), le grand maréchal et le grand maître des cérémonies, il alla faire une visite à l’empereur, qui le reçut en dehors de son cabinet, et, au bout d’un entretien d’une demi-heure, le reconduisit jusqu’à la salle dite, alors, des grands-officiers. L’impératrice avait reçu l’ordre de le faire asseoir à sa droite.

Après ces visites, le prince Louis, les ministres, l’archichancelier et l’architrésorier, le cardinal Fesch et les grands-officiers qui se trouvaient à Fontainebleau furent présentés au pape. Il reçut tout le monde avec bonté et politesse. Il dîna ensuite avec l’empereur, et se retira de bonne heure pour prendre du repos.

Le pape, à cette époque, était âgé de soixante-deux ans. Sa taille parut assez haute, sa figure belle, grave et bienveillante. Il était entouré d’un nombreux cortège de prêtres italiens qui furent loin d’imposer comme lui, et dont les manières vives, communes et étranges ne pouvaient entrer en comparaison avec la bonne tenue ordinaire au clergé français. Le château de Fontainebleau offrait en ce moment un aspect bizarre, par le mélange de personnages variés dont il était habité : souverains, princes, militaires, prêtres, femmes, tout était à peu près pêle-mêle dans les différens salons où l’on se réunissait à des heures indiquées. Dès le lendemain, Sa Sainteté reçut toutes les personnes de la cour qui se présentèrent chez elle. Nous fûmes tous admis à l’honneur de lui baiser la main, et de recevoir sa bénédiction. Sa présence en pareil lieu, et pour une si grande occasion, me causa une assez forte émotion.

Ce même lundi, les visites entre les souverains recommencèrent. Quand le pape fut venu pour la seconde fois chez l’impératrice, celle-ci exécuta le plan secret qu’elle avait formé, et lui confia qu’elle n’était point mariée devant l’église. Sa Sainteté, après l’avoir félicitée des actes de bonté auxquels elle employait sa puissance, et l’appelant toujours en lui répondant du nom de sa fille, lui promit d’exiger de l’empereur qu’il fît précéder son couronnement d’une cérémonie nécessaire à la légitimité de son union avec elle, et en effet, l’empereur se trouva forcé de consentir à ce qu’il avait éludé jusqu’alors. Ce fut au retour à Paris que le cardinal Fesch le maria, comme je le dirai tout à l’heure.

  1. 25 novembre 1804, ou 4 frimaire an XIII. (P. R.)