Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et content. On invita les poètes à célébrer ce grand événement. Chénier eut ordre de composer une tragédie qui consacrât ce souvenir ; il prit Cyrus pour son héros. L’Opéra prépara ses ballets. Dans l’intérieur du palais nous reçûmes de l’argent pour les dépenses que nous avions à faire, et l’impératrice fit à ses dames du palais de beaux présens en diamans.

On régla aussi le costume des hommes autour de l’empereur ; il était beau et allait très bien. L’habit français, de couleurs différentes pour les services qui dépendaient du grand maréchal, du grand chambellan et du grand écuyer ; une broderie d’argent pour tous ; le manteau sur une épaule, en velours et doublé de satin ; l’écharpe, le rabat de dentelle et le chapeau retroussé sur le devant garni d’un panache. Les princes devaient porter cet habit en blanc et or; l’empereur, en habit long, ressemblant assez à celui de nos rois, un manteau de pourpre semé d’abeilles, et sa couronne formée d’une branche de lauriers comme celle des Césars.

Je crois encore rappeler un rêve, mais un rêve qui tient un peu des contes orientaux, quand je me retrace quel luxe fut étalé à cette époque et quelle était en même temps l’agitation des préséances, des prétentions de rang, des réclamations de chacun. L’empereur voulut que les princesses portassent le manteau de l’impératrice[1] ; on eut bien de la peine à les déterminer à y consentir, et je me souviens même que, dans le premier moment, elles s’y prêtèrent de si mauvaise grâce qu’on vit le moment où l’impératrice, emportée par le poids de ce manteau, ne pourrait point avancer, tant ses belles-sœurs le soulevaient faiblement. Elles obtinrent que la queue de leur habit serait portée par leurs chambellans, et cette distinction les consola un peu de l’obligation qui leur était imposée.

Cependant on avait appris que le pape avait quitté Rome le 2 novembre. La lenteur de son voyage et l’immensité des préparatifs firent reculer le couronnement jusqu’au 2 décembre, et le 24 novembre la cour se rendit à Fontainebleau pour y recevoir Sa Sainteté, qui y arriva le lendemain.

  1. Les mémoires du comte Miot de Mélito renferment des renseignemens précieux sur l’intérieur de la cour du premier consul et de l’empereur, et sur les querelles de celui-ci avec ses frères à propos de l’hérédité du trône et de l’adoption du jeune fils de Louis Bonaparte, et racontent avec détail les querelles de préséance et la grande question du manteau de l’impératrice. C’est après une discussion entre l’archichancelier, l’architrésorier, le ministre de l’intérieur, le grand chambellan, le grand écuyer et le grand maréchal de la cour, les princes Louis et Joseph, présides par l’empereur, que l’on renonça à donner à ces derniers princes le grand manteau d’hermine, « attribut, disait-on, de la souveraineté » et que l’on se décida à employer dans le procès-verbal les mots : soutenir le manteau, au lieu de : porter la queue. (Mémoires du comte Miot de Mélito, vol. II, p. 23 et suiv.) (P. R.)