Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/749

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre confidence. Laissez-moi vous quitter, madame. Il faut l’attendre; qu’il vous trouve seule, et tâchez de l’adoucir et de réparer une si grande imprudence. » Après ce peu de mots, je la quittai et je rentrai dans le salon, où je trouvai Mme de ***, qui lança sur moi des yeux inquiets. Elle était fort pâle, ne parlait que par mots entrecoupés, et cherchait à deviner si j’étais instruite. Je me remis à mon ouvrage le plus tranquillement que je pus; mais il était assez difficile que Mme de ***, en me voyant sortir de cet appartement, ne comprît pas que je venais d’y recevoir une confidence. Tout le monde dans ce salon se regardait et ne comprenait rien à ce qui se passait.

Peu de momens après, nous entendîmes un grand bruit dans l’appartement de l’impératrice, et je compris que l’empereur y était et quelle scène violente se passait. Mme de *** avait demandé ses chevaux et partit pour Paris. Cette absence subite ne devait point adoucir l’orage. J’y devais retourner dans la soirée. Avant mon départ, l’impératrice me fit appeler et m’apprit avec beaucoup de larmes que Bonaparte, après l’avoir outragée de toutes manières et avoir brisé dans sa fureur quelques-uns des meubles qui s’étaient rencontrés sous sa main, lui avait signifié qu’il fallait qu’elle se préparât à quitter Saint-Cloud, et que, fatigué d’une surveillance jalouse, il était décidé à secouer un pareil joug et à écouter désormais les conseils de sa politique, qui voulait qu’il prît une femme capable de lui donner des enfans. Elle ajouta qu’il avait envoyé à Eugène de Beauharnais l’ordre de venir à Saint-Cloud pour régler les circonstances du départ de sa mère, et qu’elle se voyait perdue sans ressources. Elle m’ordonna d’aller voir sa fille dès le lendemain à Paris, et de lui faire le récit de tout ce qui s’était passé.

En effet, je me rendis chez Mme Louis Bonaparte. Elle venait de voir son frère; il arrivait de Saint-Cloud. L’empereur lui avait signifié sa résolution de divorcer, qu’Eugène avait reçue avec sa soumission accoutumée et en refusant tous les dédommagemens personnels qui lui avaient été offerts comme consolation, déclarant qu’il n’accepterait rien, au moment où un tel malheur allait tomber sur sa mère, et qu’il la suivrait dans la retraite qu’on lui donnerait, fût-ce à la Martinique même, sacrifiant tout au besoin qu’elle aurait d’une pareille consolation. Bonaparte avait paru frappé de cette résolution généreuse et l’avait écouté dans un farouche silence. Je trouvai Mme Louis moins émue de cet événement que je ne m’y étais attendue : « Je ne puis me mêler de rien, me dit-elle, car mon mari m’a positivement défendu la moindre démarche. Ma mère a été bien imprudente; elle va perdre une couronne, mais au moins elle aura du repos; ah! croyez-moi, il y a des femmes plus malheureuses ! »