matin je n’avais jamais vu Mme de Polignac. — Eh bien! vous plaidez ainsi la cause des gens qui venaient pour m’assassiner ! — Non, sire, mais je plaide celle d’une malheureuse femme au désespoir, et, je dirai plus, la vôtre même. » Et en même temps, emportée par mon émotion, je lui répétai tout ce que j’avais dit à l’impératrice; celle-ci, attendrie comme moi, me seconda beaucoup; mais nous ne pûmes rien obtenir dans ce moment, et l’empereur nous quitta de mauvaise humeur en nous défendant de l’étourdir davantage.
Ce fut peu d’instans après qu’on vint me prévenir que Mme de Polignac arrivait. L’impératrice alla la recevoir dans une pièce écartée de son appartement; elle lui cacha le premier refus que nous avions éprouvé, et lui promit de ne rien épargner pour obtenir la grâce de son époux.
Dans le cours de cette matinée, qui fut certainement une des plus agitées de ma vie, deux fois l’impératrice pénétra jusque dans le cabinet de son mari et fut obligée d’en sortir deux fois, toujours repoussée: elle me revenait découragée, et moi-même je commençais à l’être et à frémir de la dernière réponse qu’il faudrait donner à Mme de Polignac. Enfin nous apprîmes que l’empereur travaillait seul avec M. de Talleyrand. Je l’engageai à une dernière démarche, pensant que M. de Talleyrand, s’il en était témoin, pourrait bien contribuer à déterminer l’empereur. En effet, il la seconda sur-le-champ, et enfin Bonaparte, vaincu par des sollicitations si redoublées, consentit à ce que Mme de Polignac fut introduite chez lui. C’était tout promettre, car il n’était pas possible de prononcer un non cruel devant une telle présence. Mme de Polignac, introduite dans le cabinet, s’évanouit en tombant aux pieds de l’empereur. L’impératrice était en larmes : un petit article, rédigé par M. de Talleyrand, qui a paru le lendemain dans ce qu’on appelait alors le Journal de l’Empire, a rendu fort bien compte de cette scène, et la grâce du duc de Polignac fut obtenue.
Quand M. de Talleyrand sortit du cabinet de l’empereur, il me trouva dans le salon de l’impératrice et me conta tout ce qui venait de se passer; au travers des larmes qu’il me faisait répandre, et de l’émotion que lui-même avait éprouvée, il me fit sourire par le récit d’une petite circonstance ridicule que son esprit malin n’avait eu garde de laisser échapper. La pauvre Mme Dandlau, qui accompagnait sa nièce et qui voulait aussi produire son petit effet, tout en relevant et soignant Mme de Polignac, qui avait peine à reprendre ses sens, ne cessait de s’écrier: «Sire, je suis la fille d’Helvétius. » Et avec ces paroles vaniteuses, disait M. de Talleyrand, elle a pensé nous refroidir tous.
La peine du duc de Polignac fut commuée en quatre années de