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Enfin, le 10 juin, vingt des accusés furent déclarés convaincus et condamnés à la peine de mort. A leur tête était Georges Cadoudal, et, parmi eux, le marquis de Rivière et le duc de Polignac.

Le jugement portait que Jules de Polignac, Louis Léridan, Moreau et Rolland, étaient coupables d’avoir pris part à la dite conspiration, mais qu’il résultait de l’instruction et des débats des circonstances qui les rendaient excusables, et que la cour réduisait la peine encourue par eux à une punition correctionnelle.

J’étais à Saint-Cloud quand cette nouvelle y arriva. Tout le monde en fut atterré. Le grand juge s’était témérairement engagé vis-à-vis du premier consul à la condamnation à mort de Moreau, et Bonaparte éprouva un tel mécontentement qu’il ne fut pas maître d’en dissimuler les effets. On a su avec quelle véhémente fureur, à sa première audience publique du dimanche, il accueillit le juge Lecourbe, frère du général, qui avait parlé au tribunal avec beaucoup de force pour l’innocence de Moreau. Il le chassa de sa présence en l’appelant juge prévaricateur, sans qu’on pût deviner quelle signification dans sa colère il donnait à cette expression, et, peu après, il le destitua.

Je revins à Paris fort abattue des impressions que je rapportais de Saint-Cloud, et je trouvai dans la ville, chez un certain parti, une joie, insultante pour l’empereur, du dénoûment de cet événement. Mais la noblesse était affligée de la condamnation de M. le duc de Polignac.

J’étais avec ma mère et mon mari, déplorant les tristes effets de ces procédures et les nombreuses exécutions qui allaient suivre, quand on m’annonça tout à coup Mme de Polignac, femme du duc, et sa tante. Mme Dandlau, fille d’Helvétius, que j’avais souvent rencontrée dans le monde. Toutes deux étaient en larmes, la première, grosse de quelques mois, m’attendrit vivement : elle venait me demander de l’aider à parvenir jusqu’aux pieds de l’empereur; elle voulait obtenir la grâce de son époux; elle n’avait aucun moyen d’arriver dans l’intérieur de Saint-Cloud et se flattait que je lui en procurerais. M. de Rémusat, ma mère et moi, nous sentîmes tous trois les difficultés de l’entreprise; mais tous trois nous pensâmes en même temps qu’elles ne devaient point m’arrêter; et, comme nous avions quelques jours à cause de l’appel que les condamnés avaient fait de leur jugement, j’engageai ces deux dames à se rendre le lendemain matin à Saint-Cloud; je promis de les précéder de quelques heures, et de tenter de décider Mme Bonaparte à les recevoir.

En effet, je retournai à Saint-Cloud le lendemain, et il ne me fut pas difficile d’obtenir de mon excellente impératrice d’accueillir une