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qu’avec des compensations qui altéreraient complètement les conditions essentielles d’existence de la monarchie des Habsbourg. L’Autriche aurait acheté trop cher une alliance qui pour des garanties douteuses l’enchaînerait à l’empire allemand. Rien de semblable n’a donc pu être débattu dans les conversations devienne. Il ne s’agit ni de destinées nouvelles pour l’Autriche engagée vers l’Orient, ni de nouvelles révolutions d’équilibre par des remaniemens territoriaux, provisoirement laissés sous le voile. Tout cela est du domaine de la chimère, en dehors de cette vie réelle où les plus puissans eux-mêmes ne font pas toujours tout ce qu’ils veulent, où ils risquent de se heurter à chaque pas contre l’invincible nature des choses.

Ce qu’il y a de plus clair, c’est que M. de Bismarck, provisoirement à demi détaché de la Russie, a laissé son empereur aller à Alexandrovo et a pris, quant à lui, le chemin de Vienne. Après tout, ce n’est pour M. de Bismarck qu’une phase de plus, une évolution de plus. C’est la tactique assez ordinaire du chancelier allemand de modifier, non pas sa politique, mais ses amitiés, ses alliances, ses combinaisons selon les circonstances. Il procède dans sa diplomatie comme dans les affaires intérieures de l’empire. Hier, il faisait campagne avec les libéraux allemands, il dirigeait la guerre du Kulturkampf et il disait fièrement qu’il n’irait pas à Canossa; aujourd’hui, il se replie vers les conservateurs, les catholiques et le centre parlementaire, qui l’ont aidé à rétablir la protection commerciale en Allemagne, et à qui il doit bien quelques ménagemens. S’il ne va pas à Canossa, il négocie la paix religieuse, et ces jours derniers encore, il mettait une certaine affectation à rendre visite au nonce du pape à Vienne. Selon toute apparence, il attend le résultat des élections qui se font en ce moment pour fixer la mesure d’une évolution qui se manifestait il y a quelque temps déjà par les discussions du parlement et par la modification partielle du ministère de Berlin. Il en est de même dans les affaires extérieures. C’est M. de Bismarck lui-même qui, il y a quelques années, mettait la main à cette œuvre merveilleuse de l’alliance des trois empereurs, qui représentait cette alliance intime comme la sauvegarde de la paix. Il n’y a pas trouvé sans doute tout ce qu’il espérait, ou du moins il a fini par y découvrir des inconvéniens qu’il n’avait pas entrevus d’abord, et maintenant il se détourne de Saint-Pétersbourg pour concentrer ses prédilections sur Vienne. C’est avec l’Autriche qu’il veut resserrer ses liens. A l’alliance à trois il substitue plus ou moins l’alliance à deux. Il n’est toujours préoccupé que de la paix, c’est entendu, il ne cesse de le répéter, et il faut l’en croire. Il n’a aucun des projets chimériques et démesurés qu’on lui prête; il ne songe tout simplement qu’à la paix, à l’exécution du traité de Berlin, au maintien des rapports existans. Il a courtoisement visité l’ambassadeur de France, M. Teisserenc de Bort, et il a tenu à ne point laisser ignorer à notre représentant